I. Ma belle dame, à cause de vous je dois être joyeux, car, lors de notre séparation, vous m’avez donné un doux baiser avec tant de douceur qu’il m’a tiré le cœur du corps. Mon cœur est à vous, Madame, car je vous le laisse avec promesse de ne jamais le recouvrer ; en effet, le bonheur échu à Raoul de Cambrai ou à Floris, quand il monta au palais, ne fut pas plus grand que celui que j’ai éprouvé, parce que je suis fidèle et sincère, ma belle dame.
II. Ma belle dame, que Dieu m’accorde son appui auprès de vous ! Je suis, en effet, mille fois plus à vous qu’à moi, plus docile qu’un serf ou un juif ; c’est de vous que je tiens mon alleu et mes fiefs et nulle épreuve ne peut me peser ; pourvu qu’elle vous plaise, elle m’est au contraire plaisante et légère ; je vais mourir tout comme André, et il vaudrait mieux pour moi avoir tué vingt pèlerins, ma belle dame.
III. Ma belle dame, je vous aime assurément si fort que, si vous n’êtes à moi, je suis arrivé à mauvais port, car la magie m’a bien montré et appris qu’en peu de temps les soupirs m’auront tué, si je ne connais pas avec vous la joie dans une chambre. Ah ! douce créature, que votre cœur y consente, car, sans vous, rien ne peut me donner du réconfort ; si je meurs ainsi, vous assumerez des péchés et un tort, ma belle dame.
IV. Ma belle dame, ne me laissez pas mourir : je vous aime mille fois plus que je ne puis le dire et il n’est rien que j’aime et désire autant que vous, pour qui je gémis et soupire. C’est vous qui y perdrez si vous me faites ainsi languir. Plus je vous vois, plus vous devenez belle. Vous m’avez blessé, et toute ma défense est inutile, avec un doux regard et un gracieux accueil, ma belle dame.
V. Ma belle dame, je suis rempli de désir pour vous ; savez-vous pourquoi ? C’est que vous êtes pleine de noblesse et de mérite, vous parlez gracieusement et vos réparties sont aimables : on ne peut vous voir sans être amoureux, car Dieu vous a donné un corps aux belles formes ; ne vous déplaise, j’en suis un peu jaloux ; car par l’amour fut vaincu Salomon et je le suis de même par vous, courtoise personne, ma belle dame.