I. J’enverrai une chanson-sirventés à ma dame, car, depuis que j’ai quitté le Viennois, je n’ai jamais rien eu d’autre à l’esprit que sa beauté accomplie : sans cesse je me souviens du jour où elle m’a dit : “Mon cher ami, hâte-toi et garde-toi de t’attarder si tu veux que je ne meure pas”.
II. Seigneurs, n’est-ce pas une chance pour moi que la plus belle que je connais m’ait dit ce que je vous ai dit ? Jamais elle ne m’a rien défendu : avec elle j’ai tout ce que je voulais d’affection et d’amour, en dépit de mes ennemis. Jamais Floris n’a été aussi comblé de joie lorsqu’il coucha avec son amante.
III. En sachant bien souffrir, j’ai gagné de ma dame tout ce qui me plaît et, comme elle m’a trouvé sincère, elle m’a donné plus qu’elle ne m’avait promis et a ramené la vie dans mon cœur. Jamais ne m’ont nui ni jalousie ni médisant injuste et trompeur, malgré bien des discours menteurs, mais elle ne les croyait pas.
IV. De mon seigneur le marquis de Montferrat, je vous dirai que j’aurai du regret quand je le quitterai, tant il est sage, courtois et d’agréable compagnie. Mais, pour en juger avec vérité, c’est avec vérité que le roi Frédéric a dit qu’il faudrait prendre une pioche si l’on voulait lui arracher son argent.
V. Jamais pourtant un Lombard n’avait autant dépensé pour la gloire, à vrai dire, que son père, et il nous manque cruellement, à nous, gens de cour. Quand il partit pour la Romanie, la générosité l’accompagna, et malheur à Salonique ! Ils sont si nombreux, à cause d’elle, à errer, mendiants et miséreux, à travers la Lombardie !
VI. Malaspina, je me porte garant auprès de vous que vous avez quantité d’amis et peu d’ennemis là où règne la courtoisie.