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Madame, je prends congé de vous
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et jamais je n’ai éprouvé d’angoisse
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comme je fais en vous quittant ;
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je vous recommande à Dieu, mon aimée,
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vous pour qui mon cœur languit et fond,
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car je vous aime plus qu’être au monde ;
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depuis que je vous ai vue et que je vous ai parlé,
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aucun être au monde ne m’a plu autant ;
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aucune femme n’accomplit si bien
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tout ce qui convient au noble mérite,
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aucune ne tient si bien
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d’agréables propos, ni ne sourit si gracieusement.
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Avec votre mine avenante, affable et courtoise,
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vous avez capturé mon cœur dans vos lacets,
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si bien que je ne puis songer à autre chose
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qu’à vous servir et vous aimer ;
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et si je savais vous servir à votre gré,
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jamais je n’aurais de peine.
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Madame, que Dieu ne me porte jamais secours |
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si je n’appartiens pas plus à vous qu’à moi-même !
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La nuit, quand je suis endormi,
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mon esprit s’en va vers vous
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(ah ! Madame, si j’avais autant de bonheur que lui !)
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si bien que quand je me réveille et m’en souviens,
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j’ai peine à renoncer à me crever les yeux
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parce qu’ils se mêlent de veiller ;
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et je vous cherche dans tout le lit
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et, faute de vous trouver, je reste en larmes ;
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je voudrais dormir sans cesse
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afin de pouvoir vous tenir en songe. |
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Mais qu’il en soit comme il vous plaira :
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en vous sont ma mort et ma vie ;
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quand une autre ne peut m’aider,
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vous pouvez me faire ou me défaire :
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j’aime bien mieux mourir par votre fait
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que guérir grâce à une autre dame ;
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mais c’est sur vous que retomberont le péché et la faute
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si vous ne m’aimez pas plutôt vivant que mort.
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Je sais bien que c’est de ma part une grande audace,
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Madame, de vous aimer,
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car je sais bien que cela n’est pas convenable à moi ;
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mais c’est agir comme un fou que de ne pas se plaindre
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au médecin qui peut vous guérir ;
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on ne doit pas se laisser mourir
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sans faire connaître son mal
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au médecin qui peut vous porter secours ;
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aussi vous fais-je connaître ceci,
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belle dame pleine de valeur et de mérite,
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vous de qui je tiens en fief tout ce que je possède
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et que je recommanderai à Dieu :
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moi, c’est sans cœur que je vais et sans cœur que je viens
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et sans cœur que continuellement je me soutiens,
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car je suis privé et dépouillé de cœur ;
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vous, belle dame, vous en avez deux,
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car vous avez le mien et le vôtre,
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et j’ai bien envie de vous le prouver :
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quand vous avez pris mon petit anneau d’or,
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vous m’avez retiré le cœur du corps,
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si bien qu’il n’a jamais plus été en mon pouvoir,
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mais qu’il est demeuré votre prisonnier ;
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et vous, par pur et parfait amour,
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Madame, vous m’avez donné votre aumonière,
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et je vous en donne cinq cents mercis, |
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puisque vous m’avez capturé amoureusement ;
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ce sera de votre part un énorme péché
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si vous tuez votre prisonnier,
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Madame ; mais je me réconforte à l’idée
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que jamais personne n’a fait une si belle mort
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que celle que je ferai si je meurs pour vous ;
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aussi dois-je en être tout joyeux ;
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en effet, je ne crois pas que personne au monde
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ait été blessé d’une aussi belle lance
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que je le suis, ni d’une aussi agréable ;
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que ce soit pour mourir ou pour vivre, je me rends à vous ;
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votre corps n’a pas son pareil
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partout où l’on voit le soleil,
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car il est si beau et si bien fait
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que les autres me semblent laids ;
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quand je vois votre gorge et votre visage,
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plus blancs que la neige sur la glace,
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et votre menton bien planté,
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je crois bien être au paradis ;
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et quand je vois votre bouche vermeille
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dont Dieu ne peut jamais faire la pareille
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pour embrasser, sourire gracieusement
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ni rendre amoureux les gens,
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alors je suis si amoureux
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que je ne sais ce que je dis ni ce que je fais ;
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et quand je vois vos belles dents,
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plus blanches que ne l’est l’argent pur,
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et votre teint naturel
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que Dieu fit sans pareil,
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l’amour s’empare de moi au point
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que, si l’on me parle, je ne réponds rien.
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Quand je vois votre beau nez bien fait,
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vos petits sourcils fins |
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et vos beaux yeux riant sur votre visage,
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de joie, je fais en mon cœur une grande fête ;
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et quand je vois votre beau front blanc,
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tel que je n’en ai jamais vu de pareil,
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et que je vois vos gracieux cheveux blonds
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qui brillent plus que l’or fin,
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je suis si éperdu et si pensif
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que je ne sais si je suis mort ou vivant.
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Madame, je n’ose vous dire mon cœur,
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mais si vous voulez bien me regarder
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au visage, vous pourrez alors voir
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que vous êtes celle qui me fait mourir ;
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et si vous considérez qui vous êtes,
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votre beauté et votre mérite,
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et qui je suis, moi, et ce que je vaux,
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je vivrai désormais dans un tourment sans fin ;
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mais la naissance ne doit pas me nuire,
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ni la richesse, ni le haut lignage,
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car on ne doit tenir compte en amour
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ni d’une grande naissance ni d’une grande richesse :
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l’amour doit être le bien de tous
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quand l’un est loyal envers l’autre,
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car le pur amour prend pour ami
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aussi bien le pauvre que le riche
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et mieux vaut grâce que raison
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en amour, à ce que dit Salomon.
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Aussi dois-je bien trouver grâce
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auprès de vous, puisque je vous aime plus que tout.
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Madame, c’est exactement ainsi que se comporte Dieu :
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plus on l’aime, plus il vous appartient.
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Donc, puisque je vous aime plus et davantage,
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j’ai plus le droit que personne de vous avoir ;
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je suis votre vassal et votre serf, |
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plus obéissant qu’un frère convers ;
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et si vous voulez tourner votre pensée vers l’amour,
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vous ne devez pas me refuser
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de faire alors ce qui me plaît,
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si le dieu d’amour est loyal et véridique ;
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je suis à votre égard si constant et si loyal
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que Tristan était fourbe envers Iseut,
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comparé à moi, et pour Blanchefleur
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Floire avait un cœur trompeur.
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Vous le voyez bien, je suis si sincère et si fidèle
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envers vous que, quand je rencontre un homme de la région
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où vous demeurez, je n’ose lui parler,
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ni ne puis le quitter, ni ne sais partir,
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mais je vais lui demandant des explications
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jusqu’à ce que je le fasse parler de vous ;
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et alors je ne puis plus me tenir
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debout et il m’arrive de tomber,
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si bien que j’en ai souvent honte ;
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chacun s’en aperçoit,
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je ne puis le dissimuler ;
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un aveugle pourrait se rendre compte
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que vous m’avez pris dans vos lacs ;
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et je voudrais que vous ressentiez la moitié,
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ou le tiers, ou le quart du mal que j’ai,
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car alors vous sauriez ce que j’éprouve.
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Mais vous ne sentez pas la douleur
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ni le mal qui me viennent du parfait amour
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et je ne serai jamais joyeux
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si vous n’en sentez votre part ;
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alors vous sauriez véritablement
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que vous êtes celle qui me fait souffrir ;
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car les autres maux me semblaient des jeux
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jusqu’au moment où je sentis le feu d’amour. |
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Il est bien vrai, l’apologue de Renard :
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tel croit se chauffer qui se brûle ;
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en effet, à notre première rencontre,
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je me suis approché de vous sans malice
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et vous, avec votre gaîté et votre joyeuse conversation,
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vous m’avez tendu en souriant un lacet
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dont je ne me suis pas gardé jusqu’au moment d’être pris :
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c’est ainsi que j’ai été surpris par l’amour.
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Vous m’avez bien contenté comme on contente un fou
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en me mettant les bras au cou
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et me disant que j’étais votre premier
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ami et que je serais le dernier
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à avoir jamais été aimé de vous.
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Ah ! je voudrais que la vérité fût établie,
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même si je devais en avoir un œil crevé !
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Madame, je sais bien que je tiens un langage arrogant,
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mais vous ne devez pas m’en vouloir plus de mal,
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car en tous points je vous ai dit la vérité ;
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et si vous me laissez dans une situation aussi incertaine,
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je partagerai le sort d’André de France
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qui mourut pour l’amour de son aimée ;
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puis vint trop tard le repentir :
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elle se repentit cruellement
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de ne pas l’avoir sauvé de la mort.
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Il en adviendra pareillement de moi,
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Madame, si vous ne me faites grâce :
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si vous ne me secourez pas bientôt,
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vous me trouverez mort, sachez-le,
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et voici bien la pure vérité
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que nous trouvons dans la Sainte Écriture :
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dame qui tue volontairement celui qui lui appartient
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est privée ensuite de la vision de Dieu.
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Ma belle dame, s’il vous plaît, |
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prenez pitié de moi :
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vous pouvez me faire tomber mort,
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vous pouvez me garder vivant ;
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je suis tout à votre merci,
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vous pouvez me faire du mal ou du bien.
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Mais je vous prie par votre bonté
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–car vous êtes la plus courtoise du monde,
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la plus charmante et la plus belle,
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et celle qui se comporte le plus gracieusement –
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de m’adoucir un peu mon martyre,
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car je ne désire rien tant au monde
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que votre belle personne loyale :
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je ne sais demander à Dieu rien d’autre,
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Madame, que de vous donner un cœur favorable
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à votre ami, qui meurt pour vous ;
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je vais vous dire ce qui m’arrive
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à cause de vous, que j’aime plus que tout être :
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une fois entré à l’église,
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de même qu’un autre pécheur demande
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à Dieu pardon de ses péchés,
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moi, je prie pour vous avoir entre mes bras :
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je ne sais pas faire d’autre prière.
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Bien plutôt, je pense tant à votre visage
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que, en croyant dire le Notre père,
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je dis : “Madame, je suis tout à vous” :
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vous n’avez si bien rendu fou
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que j’en oublie Dieu et moi-même.
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Mais vous êtes d’une si grande puissance,
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vous à qui je me suis rendu,
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que si vous me manifestiez assez d’amour
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pour me retenir en m’embrassant,
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mon tourment, qui est pire que la mort,
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deviendrait joie et plaisir, |
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et tous mes soupirs, mes peines
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et mes désirs seraient
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transformés en joie et en douceur :
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telle est la force de l’amour
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qu’un bien fait oublier cent maux
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et une joie cent chagrins mortels ;
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et il ne sait pas bien jouir de l’amour,
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celui qui ne sait dissimuler et souffrir,
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et jamais ne sera heureux
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celui qui ne souffrira ni ne dissimulera.
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Voilà quelles sont ma croyance et ma pensée,
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et la-dessus j’en sais plus que tous,
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car en moi il n’y a rien qu’amour :
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les trois sœurs m’ont jeté ce sort,
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à l’heure de ma naissance,
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que je serais toujours amoureux,
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que l’amour ne me quitterait jamais,
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ni moi l’amour pour rien au monde.
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J’appartiens à l’amour et j’aime, de l’amour,
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tout ce qu’il me dit et me fait,
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car je suis fait pour servir une dame
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et jamais rien n’a pu me plaire autant.
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À ma dame je me donne, à ma dame je me rends,
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car je suis né pour faire sa volonté
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et puissent m’aider en son amour Dieu,
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la merci et ma bonne foi. |