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Français
Alfred Jeanroy et Jean-Jacques Salverda de Grave

I. Jamais aucun ennemi que j’aie eu ne m’a nui autant que le font [aujourd’hui] mes yeux et mon cœur ; et si je souffre par leur faute, eux n’y ont rien gagné ; car, à cause du mal qu’ils m’ont fait, le cœur soupire et se plaint et les yeux pleurent souvent, et au moment même où ils souffrent le plus, chacun d’eux veut le plus obéir à celle dont ils savent que vient leur mal.
 
II. C’est pourquoi, si je le pouvais, je devrais fuir mon cœur et mes yeux, qui me font désirer la mort ; mais cela m’est impossible ; au contraire, je m’attache à eux et je ne les quitte pas, et je demeure le fidèle esclave de la femme charmante, gaie et agréable à qui ils obéissent, et je la veux honorer et courtiser et louer honnêtement sans mentir.
 
III. Mais nous vivons en un temps où les plus fidèles amants et ceux qui aiment sincèrement sont dédaignés et méprisés, où ceux qui manquent de toutes les qualités nécessaires pour aimer sont désirés ; et pourtant il n’est pas juste que celui-là soit heureux en amour qui ne sait ni en apprécier les biens ni en souffrir les maux, s’il les éprouve.
 
IV. Mais celle qui me tient prisonnier exige de moi que je fasse tout ce qu’elle veut, elle qui ne m’aime ni ne me chérit, et à qui ne plaît rien de ce qui me plairait à moi ; car il m’arrive ce qui est arrivé à Gauvain, dans l’aventure du bel étranger malheureux à qui il dut promettre de faire tout ce qu’il ordonnerait, tandis que celui-ci ne ferait ni ne dirait rien qui fût agréable à Gauvain.
 
V. Ce n’est que grâce à une pareille convention que je puis me dire sien sans rien lui demander de plus ; mais pourtant je ne pense ni ne songe qu’à une chose, c’est-à-dire comment je pourrais faire ce qu’elle veut ; car la chanson se termine par le refrain qui dit que, à force de servir humblement, on peut fléchir le cœur le plus rebelle ; c’est pourquoi je n’ai pas peur qu’elle me fasse mourir, tant je veux la servir de tout mon cœur.
 
VI. Mais pourtant c’est chose pire que la mort que de languir, de désirer et d’attendre, sans savoir quand on aura pitié de vous ; et puis, ce qui m’inquiète et ce qui fait que je me plains, c’est qu’un seul jour peut suffire à détruire et ruiner tout ce qu’on a péniblement conquis d’Amour ; et pourtant, à mon avis, on [la femme aimée] devrait résister autant au moment du déclin qu’à celui de la conquête.
 
VII. Seigneur Savaric, je plains beaucoup Gardacor d’avoir échangé son or fin et précieux contre de l’étain, et sa claire et brillante émeraude contre du verre terni qui ne peut ni luire ni resplendir.

 

 

 

 

 

 

 

 

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