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Français
Alfred Jeanroy et Jean-Jacques Salverda de Grave

I. J’ai trois ennemis et deux mauvais seigneurs, dont chacun cherche nuit et jour à me tuer : les ennemis sont mes yeux et mon cœur qui me fait désirer celle qui ne me conviendrait pas ; et un des seigneurs est l’Amour, qui tient en son pouvoir mon tendre cœur et mes fidèles pensées ; l’autre, c’est vous, dame que j’aime, à qui je n’ose ouvrir mon cœur et dire comme vous me faites mourir d’amour et de désirs.
 
II. Que dois-je donc faire, dame, puisque nulle part je ne puis trouver rien qui me plaise, hors vous ? Que ferai-je, moi pour qui toutes les joies seraient des tourments, si elles ne me venaient de vous ? Que ferai-je, moi que votre amour conduit et dirige, cet amour qui me fuit et me suit et s’empare de moi ? Que ferai-je et comment pourrai-je m’échapper, si vous, dame, ne voulez pas me retenir ?
 
III. Comment pourrai-je durer, puisque je ne puis pas mourir et que ma vie n’est que tourment ? Comment pourrai-je durer, moi que vous faites languir, désespéré, malgré une lueur d’espoir ? Comment pourrai-je durer, puisque jamais je n’aurai aucune joie si elle ne me vient de vous ? Comment pourrai-je durer, puisque je suis jaloux de tout homme qui va et vient vers vous et de tous ceux à qui j’entends dire du bien de vous ?
 
IV. Comment vivrai-je, moi qui, nuit et jour, pousse des soupirs profonds qui proviennent de ma douleur ? Comment vivrai-je, moi à qui personne, sinon vous, ne peut faire ni dire rien que je tienne à honneur ? Comment vivrai-je, moi qui ne porte dans mon esprit que votre image et vos agréables manières et vos paroles courtoises, modestes et amoureuses ? Comment vivrai-je, moi qui pour moi ne demande à Dieu qu’une seule chose, c’est de me laisser trouver grâce auprès de vous ?
 
V. Que dirai-je, dame, si la noble pitié ne me soutient pas, au moins assez pour que je vainque, à force d’amour et de constance, votre noblesse et votre haute dignité ? Que dirai-je si vous ne me prenez en patience ? Que dirai-je, moi qui ne puis voir une autre femme qui puisse m’inspirer de l’amour ? Que dirai-je, s’il n’existe pas au monde une autre femme qui puisse me donner la joie d’amour, quelque bien qu’elle me fasse ?
 
VI. Que ma chanson aille à la noble comtesse de Provence, car ses actions sont sages et conformes à l’honneur, ses paroles courtoises, ses façons d’agir séduisantes, et celle à qui appartient ma chanson m’a ordonné de la lui transmettre.

 

 

 

 

 

 

 

 

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