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Français
Alfred Jeanroy et Jean-Jacques Salverda de Grave

I. Doucement mes yeux ont su vaincre mon cœur, et mes yeux et mon cœur m’ont vaincu moi-même, car mon cœur a vu par mes yeux celle pour qui meurent mes yeux, et pour qui et mon cœur et moi-même nous mourons ; et le cœur, à moitié mort — voyez combien il est traître ! — me fait, à force de pensées, d’aspirations et de réflexions tistes, tuer par celle qui tue mes yeux par les pleurs et lui-même par le désir.
 
II. Qu’on ne me plaigne pas si je pleure ou me plains d’elle en mon cœur ou si je soupire après elle, car je sais que personne ne meurt d’un mal qui vient de si haut ; et je puis bien dire que nobles sont mes soucis, et si jamais je puis m’enhardir au point de lui montrer le désir que j’ai d’elle et de le lui dire, je serai honoré quand même elle me ferait mourir.
 
III. Souvent je prends en moi-même la résolution de la prier, mais voici ce qui m’arrive alors : tout ce que le cœur va dire est retenu par la bouche ; et mon désir augmente et mon courage fléchit, et l’angoisse et les longs soupirs redoublent et je me trouble au point de ne plus savoir quoi dire, de sorte que je ne réussis pas à la prier ; je ne sais ni m’y résoudre ni renoncer à le faire.
 
IV. Et si je m’éloigne d’elle, elle m’est plus près du cœur, et plus je la fuis, plus elle me retient, ce qui fait que je reste complètement à sa merci, car celui qui meurt en fuyant meurt ignominieusement. Mais, en regardant sa belle personne, il ne me semble pas qu’elle doive tuer ni moi ni un autre ; il me paraît plutôt qu’elle doive sauver ceux que toute autre mort fait mourir.
 
V. Avant même de la voir je la connus dans mon cœur, et j’eus mis en elle mon espoir et ma foi ; et lorsque je l’eus vue, je devins sien tout de suite, de sorte que c’est par elle que j’ai de la valeur, que je vis et que je meurs ; et chaque jour je suis son serviteur fidèle, et je prône et loue ses vertus, au point de la faire louer et prôner par ceux-là même qui jusqu’alors l’avaient en haine.
 
VI. Désir, ne croyez pas que je vous haïsse et qu’il me déplaise de vous servir loyalement sans récompense, car celle que je désire maintenant fait que vous mettez fin aux torts que vous aviez envers moi.

 

 

 

 

 

 

 

 

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