Traduccions - Übersetzungen - Translations - Traducciones - Traductions - Traduzioni - Reviradas

457,026

Français
Alfred Jeanroy et Jean-Jacques Salverda de Grave

I. Personne ne sait, avant de le perdre, combien son ami lui était utile ; mais quand il l’a perdu et que l’ami, repoussé, lui nuit autant qu’il l’avait aidé, alors il se rend compte des services que celui-ci lui rendait ; voilà pourquoi je voudrais que ma dame sût, avant de me perdre, combien je lui suis utile ; je suis sûr qu’alors elle ne se ferait pas à elle-même le tort de renoncer à moi.
 
II. Je sais bien que, si je lui avais nui autant que je lui ai rendu service en exaltant son prix, je mériterais qu’elle me voulût plus de mal qu’à qui que ce soit ; or [comme toute la peine que je me suis donnée pour elle a été inutile], je me rends compte que, pour ce qui est de ma dame, le mal que je pourrais lui faire me nuirait plus que ne me profiterait le bien que je lui ferais ; voilà pourquoi il vaudrait mieux que je me séparasse d’elle, si je pouvais ; mais, par Dieu, je ne le pourrais pas.
 
III. Car l’amour qu’elle m’inspire m’a subjugué si doucement que je ne puis et n’ose songer à éloigner et à détourner mon cœur de celle qui me tue de désir ; au contraire, mon cœur s’attache et se cramponne chaque jour à elle ; elle ferait donc bien, si cela lui plaisait, puisque je suis si complètement à elle, de me considérer comme sien et ensuite d’user de moi à sa guise comme d’une chose qui lui appartient.
 
IV. Amour, j’ai tant voulu votre vouloir et si longtemps fait ce que vous m’ordonniez que jamais vous ne m’avez trouvé rebelle ; de tant de grandes joies que vous m’avez promises, donnez-m’en une avant que je sois complètement mort, car dans le monde entier il n’y a pas de si légère faveur, Amour, qui, pourvu qu’elle me vienne de ma dame, ne me donne joie et ne m’ôte tristesse.
 
V. Si elle ne me secourt pas, je ne désire pas qu’une autre m’aide ou m’accueille ou me fasse beau semblant, car si elle ne veut pas de moi, je ne demande pas d’amour à une autre, quand même Amour lui-même voudrait me prendre à son service ; d’aucune autre femme je n’accepterais ces choses, et, si j’échoue auprès d’elle, je dis qu’il n’y a plus au monde ni amour, ni pitié, ni bonté, ni merci, ni sincérité, ni courtoisie.
 
VI. Seigneur Savaric, je ne retirerais pas mon amour à mon Ami pour rien qu’on me pût dire de lui, jusqu’à ce que je me fusse assuré par moi-même que ce qu’on m’en dirait est la vérité.

 

 

 

 

 

 

 

 

Institut d'Estudis Catalans. Carrer del Carme 47. 08001 Barcelona.
Telèfon +34 932 701 620. Fax +34 932 701 180. informacio@iec.cat - Informació legal

UAI