I. Il est de si fâcheuse compagnie et de si chétif aspect, ce Matfré Lanza qu’on appelle marquis, que quiconque le voit perd toute joie et devient morose et triste, car il n’y a en sa personne rien qui puisse faire espérer qu’on tirera de lui quelque agrément et à sa parole on ne peut se fier sans garantie.
II. Désagréable est son accueil, déplaisante sa voix ; il mange, boit et donne sans grâce ; il vit misérablement et vous fait triste et mauvaise mine ; il n’attire à lui et ne fréquente aucun homme de bien ; toujours vous le trouverez farouche et pensif ; celui qui voit et regarde sa personne ou qui se l’imagine, ou se fie à lui, gâte toute son affaire.
III. Ses gens vont nu-pieds et déguenillés, mal abreuvés et mal payés, soupirant, reniant Dieu et lui-même ; dans sa piteuse cour vous n’entendrez nul joyeux bruit, ni joie ni chant; vous n’y trouverez ni bon visage, ni secours ni aide propice; il reste de longues heures pensif, le cœur vide, flasque comme une primevère [fanée].
IV. Il n’attire à lui et il ne fréquente aucune bonne société ; des rufians et des femmes débauchés, voilà ce que près de lui vous trouverez, car de ceux-là jamais il ne se sépare et leur compagnie lui est chère : de mauvais grain ne peut sortir bon pain ; il fait un triste bénéfice, celui qui gagne l’amitié de cet homme vil et vain et de pitoyable commerce.
V. Les Milanais ont fait une folie, ils ont consommé leur honte et leur dommage en voulant faire leur seigneur de cet homme au cœur misérable ; on voit bien qu’il est d’une triste lignée, puisqu’il repousse l’amour et l’honneur, que les belles paroles, les agréables façons ne lui procurent ni joie ni douceur, mais au contraire lui sont fâcheuses et pénibles.