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Français
Peter T. Ricketts

I. Je ne m’abstiendrai pas, quoiqu’on m’en blâme, d’être joyeux, puisqu’Amour veut me donner la joie, et, parce que je suis gai d’avoir composé une chanson joyeuse, de nous réjouir, les fidèles amants et moi. Car la joie nous plaît alors même que les autres sont mornes, du fait qu’à nous toutes les joies sont données. Autrement, on ne doit pas jouir d’amour, si l’on ne sait pas bien se garder des fautes ; en servant le bien et le mal, on ne pourrait en jouir.
 
II. Savez-vous pourquoi je crains à présent que l’amour, d’où naissent l’honneur et toute vertu, disparaisse ? Parce que des puissants qui devraient le servir, nous voyons la plupart l’abandonner. Aussi, à ceux qui en sont éloignés, refuse-t-il la joie, l’honneur et toute bonté, et leur promet, si jamais il a l’occasion de les tenir, de ne pas écouter leurs prières ; et moi, je veux bien que les faux amants trouvent la tromperie.
 
III. Mais j’ai bien peur, à cause de la perversité qui est honorée plus que l’honneur même, qu’il en soit de l’amour comme jadis de ce sage qui sut se mettre à l’abri de cette pluie qui rendit fous les autres. C’est lui seul que les fous trouvaient sot, jusqu’au moment où il perdit sa raison au contact de leur folie et s’en alla sous l’eau qui rendait fou. Dans l’état où en sont les choses, il faut que le mal disparaisse, autrement, je ne vois pas où l’honneur puisse trouver un abri.
 
IV. Amour m’honore comme le plus fidèle et veut que je chante pour égayer ses servants. C’est qu’il me sait plus fidèle qu’un autre en ce qui concerne l’amour et que jamais je ne lui ai fait défaut. Aussi je lui en rends mille grâces de bon gré, car il a placé mon cœur en si haut lieu que ma joie grandit chaque fois que je pense combien ma dame se fait préférer à la meilleure par son mérite gracieux et sa dignité supérieure.
 
V. Mais moi, je fais comme le cerf, qui, voyant dans l’eau de la fontaine s’agiter l’ombre de ses cornes, en conçut un grand orgueil, et puis se mit à regarder ses pattes maigres. Il les aima moins que ses bois qui lui paraissaient fins. Pourtant, ses pattes l’avaient sauvé jusqu’au moment où les cornes le firent prendre et tuer. Et moi, je laisse pour celle qui me tue de désirs, maints plaisirs que l’amour d’une autre dame me donnerait.
 
VI. Mais, à part l’honneur, c’est un grand avantage, au lieu de se résigner tout à fait, de choisir une personne reconnaissante, noble et haut placée. Car l’amant doit se garder d’être égaré par la folie. Mais vous, Amour, m’en avez bien gardé, puisque vous me faites aimer celle qui est la fleur de la beauté et de tous les biens qui rendent une dame gracieuse. Je n’ai pas la science nécessaire pour faire l’éloge de ses grandes vertus, mais si cela lui plaît, partout je m’honore de mon amie.
 
VII. Alcaye a tant de raison et de noblesse et elle se plaît à me protéger que je veux faire d’elle et de ma dame l’agrément de mes chants, qu’on le trouve bon ou déplaisant.

 

 

 

 

 

 

 

 

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