I. J'aurai à faire une chansonnette facile, puisque j'en ai l'ordre de mon amie. Sans cela, je n'ai pas de raison de la chanter, car la joie & la courtoisie déplaisent aux puissants, tant ils sont devenus mauvais. Mais pour eux je ne dois pas m'abstenir de chanter : il me suffit de pouvoir plaire à ma dame.
II. Il me suffit que ma dame me soutienne. Aussi ne saurais-je flatter les riches pervers, puisqu'ils ne veulent pas se corriger de faire chaque jour le mal. Ils ne peuvent y renoncer, & puis ils songent à pratiquer la courtoisie, & mon cœur en est indigne.
III. Les dames sont coupables en ceci que la joie se perd & que l'honneur s'en va. Car si elles consentaient à aimer, le monde serait gai comme autrefois, les chevaliers seraient jaloux de leur honneur & chacun rechercherait pour lui-même la vertu, mais tout n'est plus que perfidie.
IV. D'eux tous il m'importe peu, pourvu que Dieu me conserve ma dame & qu'elle m'accorde ce que je voudrais avoir d'elle. Mais elle ne peut rien me donner : je suis tellement sien que tout ce qu'elle me donnerait serait encore à elle comme avant de me le donner. Car je n'ai & je n'aurai ni cœur, ni rien de si précieux qui ne soit tout entier à elle.
V. Vers le vaillant roi d'Aragon, qui s'attire des louanges, va-t-en, chanson. C'est un roi qui, à moins qu'il ne change, sait rendre à Dieu & à l'honneur ce qu'il leur doit. Mais qu'il y prenne bien garde : Dieu & l'honneur ont précisément ceci de commun qu'on les perd dès qu'on s'écarte d'eux.
VI. Que Dieu protège & conserve Esclarmonde : elle est sans égale par sa rare beauté, & elle plaît par sa grâce enjouée. Le nom dit, si on sait l'entendre, qu'elle est nette & pure de toute folie.