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Français
Jules Coulet

I. Je ne m'abstiendrai pas, pour homme qui m'en blâme, de faire partager ma joie aux autres, puisque Amour veut bien m'en donner, & de faire sur un mode gai une chanson joyeuse qui réjouisse avec moi les fidèles amants. Car la joie ne saurait nous plaire quand les autres sont attristés de ce que toute joie nous est donnée. On ne doit, en effet, goûter la joie d'amour que si l'on sait se garder des fautes & si l'on ne prend pas un égal plaisir au bien & au mal.
 
II. Savez-vous pourquoi je crains maintenant que disparaissent l'amour, la courtoisie, l’honneur & toute vertu? C'est que des puissants qui devraient le plus honorer Amour, nous voyons la plupart l'abandonner. Aussi, à ceux qui s'éloignent de lui, refuse-t-il joie, honneur & tout avantage, & il se promet bien, si jamais il a l'occasion de tenir sa promesse, de rester sourd à leurs prières ; &, pour moi, j'aime que les traîtres soient trompes à leur tour.
 
III. Mais je crains bien, par suite de la perversité qui de nos jours est honorée plus que l’honneur même, qu'il en soit de l'amour comme jadis de ce sage qui sut se mettre à l'abri de la pluie qui rendit fous les autres. Eux le tenaient lui seul pour fou, jusqu'au moment où, au contact de leur folie, il perdit lui aussi sa raison & s'en alla sous l'eau qui rendait fou. Il en sera de même pour Amour, car, par le temps qui court, il faut que le mal disparaisse, sans cela je vois où l’honneur pourrait trouver un abri.
 
IV. Amour m'honore comme le plus fidèle, quand il veut que je chante pour égayer les esprits. C'est qu'il me sait plus fidèle qu'un autre à son service & que jamais je n'ai manqué à ce que je lui dois. Aussi je lui rends mille grâces, & de bon cœur. Car il m'a fait placer mon cœur en si haut lieu que ma joie grandit chaque fois que je pense & que je considère combien ma dame se fait préférer à la meilleure par son mérite gracieux & sa dignité supérieure.
 
V. Mais moi, je fais comme le cerf qui voyant dans l'eau d'une fontaine s'agiter l'ombre de ses cornes en conçut un grand orgueil jusqu'au moment où il se prit à regarder ses longues pattes maigres. Il les aima moins que ses bois, qui lui paraissaient élégants. Pourtant, ces mêmes pattes l'avaient sauvé jusqu'au moment où les cornes le firent prendre & tuer. Et je fais comme le Cerf, moi qui, pour celle qui me tue de désirs, méprise les satisfactions que l'amour d'autres dames me donnerait.
 
VI. Mais, outre l’honneur, c'est un grand profit, au lieu de désespérer tout à fait, de choisir une personne noble & haut placée. Car tout amant doit prendre garde que la folie ne l'égare. Mais vous, Amour, m'en avez bien gardé, vous qui m'avez fait aimer celle qui a dans sa fleur la beauté & toutes les qualités qui rendent une dame aimable. Je suis impuissant à faire l'éloge de ses grands mérites; mais, si cela peut lui plaire, partout je m'honore de mon amie.
 
VII. Algaye a tant de raison & de noblesse, & elle se plaît tant à me protéger, que je veux faire d'elle & de ma dame l'agrément de mes chants, qu'on le trouve bon ou non.

 

 

 

 

 

 

 

 

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