I. Affligé je chante, et eu chantant je m’afflige, car il m’arrive de chanter ; mais cela m’est bien pénible ; et pourtant, il vaut mieux pour moi chanter que m’en abstenir, bien que ma dame me fasse languir. Me fait-elle languir ? — Oui. — Pourquoi ? — Je ne sais ; mais aucune joie ne me vient d’elle.
II. Qu’elle ne sache pas la tristesse qu’a fait naître en moi le mal qui m’a enlacé et pris. Je ne crois pas que ma douleur s’apaise; mais elle (ma dame) peut y porter remède. Y portera-t-elle remède ? — Non. — Pourquoi ? — Parce qu’il ne lui plaît pas de laisser une chose pour une autre (?).
III. Il m’a fait un grand mal, celui qui m’a « pourtraît » ma dame ; mais ce mal, s’il plaît à Dieu, sera pour moi lin bien : plus une grande joie est désirée et plus elle vous fait languir, plus elle a de valeur. J’ai bien parlé comme un fou. — Pourquoi ? — Peut-être à cause de cela (de ce que je viens de dire) elle n’aura que plus tard pitié de moi.
IV. J’ai attendu deux ans et plus le don qu’elle m’a promis; mais à présent je sais que « la farine nourrît maints fous », comme le dit le proverbe. J’ai beaucoup attendu. — Pourquoi ? — Il faut peu de temps à Dieu pour donner un grand bien.
V. À ma dame je me donne, bien qu’elle m’ait trahi ; ce n’est pas elle qui est coupable de mes maux (?), et celui qui m’a rapporté cela a menti ; elle est, au contraire, sincère et parfaite envers moi. Bien fou est celui qui m’a dit du mal d’elle. — Pourquoi ? — Parce que, même si tout cela est vrai, je ne le crois pas.
VI. À présent, je suis plus gai que de coutume, car je lui ai mandé, là où elle se trouve, de s’approcher assez de moi pour me donner un baiser, mais de venir ici en tapinois. J’ai fait là preuve d’une bien grande arrogance. — Pourquoi ? — Parce que je lui ai mandé de venir à moi.
VII. J’ai fait preuve d’arrogance : je ne mérite pas qu’elle ose plutôt (?) venir vers moi.