I. L’envie me prend de faire entendre à tous publiquement un sirventés, que je ferai sur les hauts personnages qui se disputent l’Empire, car, à mon avis, il se conduisent indignement, ainsi que le pape, parce qu’il les tient en balance. Je m’étonne beaucoup qu’ils aient l’espoir qu’il accordera l’Empire à un d’eux, puisqu’il reçoit d’eux des rentes, en or & en argent.
II. L’Empire & l’autorité impériale rapportent plus au pape que s’ils lui appartenaient en propre ; car les sommes qui sont offertes en cette affaire à lui & aux siens sont plus élevées que ne sont les revenus d’un empereur ; & puisque l’argent afflue vers lui en si grands quantité, il ne me semble pas probable qu’il mette d’accord (les prétendants), car il ne demande pas autre chose ; cela est cause que le monde est mis sens dessus dessous.
III. Cette affaire ne sera pas terminée par un jugement. Puisque les rois veulent y mettre fin, chacun doit venir avec toutes ses forces, accompagné de chevaliers & de chevaux armés & de vassaux animés du désir de vaincre ; &, sur un champ de bataille, ils doivent exécuter une danse d’un tel genre que, à la fin, l’un d’eux obtienne la dignité impériale ; puis les décrétales n’y feront plus de mal & ils trouveront le pape prêt à donner sa bénédiction.
IV. Celui-là sera appelé le fils de Dieu qui aura vaincu sur le champ de bataille ; les clercs ne feront pas de difficultés pour le couronner, car alors ils verront qu’il a le plus d’énergie ; alors tous lui obéiront, car les clercs ont toujours l’habitude, quand ils trouvent un maître puissant, de faire humblement & correctement tout ce qu’il veut ; & de travailler à sa ruine, quand ils voient décliner sa puissance.
V. Et si ma proposition ne plaît pas aux rois, ils peuvent faire une autre chose, qui vaudra cent fois mieux encore, car outre-mer la chrétienté est en péril, & s’ils passent la mer avec toutes leurs forces, on leur pardonnera tout ce dont on les blâme ; & que le roi de France y aille aussi, sans tarder, & le roi Jacme, car il a la chance & le courage ............................................................................
VI. J’ai dit assez à chacun des hauts princes, & chacun m’entend, & j’ai le ferme espoir que, s’ils passent la mer sans tarder, ils garderont la chrétienté de honte, tout en obtenant pour eux-mêmes Dieu & la gloire & le salut.
VII. Roi de Castille, puisque en véritable mérite & en valeur vous êtes de beaucoup supérieur aux autres, ne relâchez pas, seigneur, car j’ai bien peur qu’(alors) votre gloire ne diminue, & faites en sorte de la maintenir haute & ferme.
VIII. Je sais du pape qu’il donnera généreusement beaucoup d’indulgences & peu d’argent,
IX. Et s’ils ne volent tout de suite au secours, de l’autre côté de la mer, la terre (sainte) sera perdue sans retour.