a
I. Ami Guigue, je loue pleinement la bonne idée que tu as eue de vouloir te rendre compte (par toi-même) des métiers qu’il y a sur la terre ; car tu as, longtemps, été « coureur », puis, à ce qu’on m’apprend, tu t’es élevé au rang de « sirven » & tu as volé des bœufs, des boucs, des brebis & des moutons ; puis, tu t’es fait jongleur, pour dire des vers & des chansons; & maintenant tu es monté à de plus grands honneurs, puisque le comte a fait de toi un redoutable chevalier.
II. Et quand tu iras, Guigue, proclamer les noms des invités, tu crieras « Jalousie » pour (le seigneur de) Mison, & « Convoitise » pour le duc de Torcho (?), & (au seigneur de) Mévouillon tu demanderas le don de parler avec intelligence, & à celui qui possède Courthezon tu demanderas à boire, & tu prieras le seigneur de Salon de te donner de l’adresse à tromper, au seigneur de Lunel tu demanderas une intelligence supérieure, & à celui de Castelnou des oignons & du fromage.
III. C’est de cette façon que tu dois, Guigue, toujours proclamer les noms, jusqu’à ce que tu cries : « Prouesse aux preux ! Chevaliers vils, vous êtes trop lents à donner ! Au feu, au feu, pour remettre en honneur la Noblesse. »
b
Guigue lui répondit ainsi :
IV. S’il est vrai, Bertran, que « je proclame des cris de guerre pour ceux qui ont du mérite, je ne me soucie pas de crier « Alamanon » pour vous, car je vois que toute l’année vous suivez la cour de Provence, sans honneur & sans profit ; & vous n’offrez pas de festins, & vous ne faites pas de cadeaux, mais, des mots bas & inspirés par l’envie, personne ne sait en faire mieux que vous ; & en ce qui me concerne, vous n’avez pas besoin de renoncer à vos habitudes.
V. Votre frère, Bertran, dans le partage, a pris pour lui les qualités qui font qu’on l’estime ; puisqu’il a pris pour lui ce qui convient à un homme de bien, & vous a laissé ce qui appartient à un homme méprisable, & puisqu’il vous a laissé dénué de toute vertu & vous a abandonné les vices, en vous privant de bonnes qualités ; (il vous a laissé) un vil caractère & des manières de goujat, & un grand corps mou, farci de lâcheté.
VI. Quel que soit celui qui crie « Vaillance » en l’honneur des vaillants, moi, en proclamant votre nom, je crierai « Vilenie », . . . ., & « Faiblesse », & « Lâcheté ».