I. — Au temps d’été, quand les oiseaux sont joyeux et de joie chantent de doux lais d’amour et que les prés se réjouissent en s’habillant de verdure, et que le rameau se charge de fleurs et de feuillage, ceux-là sont contents qui ont d’amour leur souhait ; mais moi je n’obtiens d’amour rien de ce que je désire ; et je ne puis ni ne dois trouver aucun bonheur, puisque j’ai perdu la joie par ma folie, et si jamais j’ai été heureux, je suis maintenant plein de tristesse.
II. — Et j’ai grandement raison de me livrer à la tristesse et de ne plus désirer ni feuille ni fleur ; car jamais homme de chair n’a été plus en douleur ; et ma douleur augmente quand arrive le temps nouveau ; et il est raisonnable que je me fâche et me plaigne et m’attriste, puisque, sous le coup de la colère, j’ai laissé la plus charmante, à mon grand regret. Elle aurait pu voir ce dont je pense enrager (?) ; mais je ne me fâche pas jusqu’à abandonner son service et je n’éloigne d’elle ni mon cœur fidèle ni ma foi.
III. — Car si, à cause de ma folie, je suis loin de sa joyeuse personne et si je ne puis voir celle qui, plus qu’une autre, fait connaître sa valeur, je dirige (toutefois) vers elle les deux yeux de mon cœur ; car plus on est séparé et éloigné d’elle, plus, de loin, elle se rapproche de tous côtés. Si loin se répand et se fait connaître la grande valeur de ma dame que, plus elle est loin de moi, plus je suis près d’elle.
IV. — C’est à bon droit que mon cœur et mon esprit sont près d’elle et il est plus juste encore qu’après tant de peines je jouisse d’une bonne espérance ; et si je vis assez pour m’approcher [d’elle] et m’asseoir à ses pieds, ce sera une riche récompense de celle dont la valeur monte trois et quatre fois (?) ; car, dans tout le monde, elle n’en laisse pas le quart ; de la sagesse et de la gloire, elle a tout gardé, ce dont ses biens ont dû augmenter, si elle agit de manière à ne laisser presque rien ailleurs.
V. — Et néanmoins, puisque j’ai tant failli, si elle veut me faire défaut, elle peut bien le faire et le droit est de son côté ; car j’ai fait une faute si grave, quand je me suis enhardi jusqu’à aller en Apulie et que j’ai laissé, si je dis la vérité, celles qui ne manquent ni jeunesse ni valeur ni beauté. Laissé (dis-je) ? Non, mais ... car je perdrai plutôt la vie et le cœur et le sens que de ne pas attendre si Merci ne me portera pas secours.
VI. — Car ma dame a tellement muni de Merci sa noble personne joyeuse, que si j’attends sa merci, je ne crois pas que, quand je lui demanderai merci, elle me laisse sans merci, dépourvu de sa riche joie par laquelle je vis et vais et vaux. Et si, par merci, elle me retient bientôt à son service, va, chanson, lui dire que jamais Merci n’a rendu un homme demandant merci aussi heureux que je le serais si Merci me secourait.