I. Pareil à celui qui craint qu'Amour ne le tue, sans savoir ni où se cacher ni où se réfugier, je me mets moi sous votre garde et sous votre protection, vous que j'aime sans ruse et sans fausseté ; car vous êtes du monde entier la meilleure et la plus belle ; et si votre noblesse m'attire à vous, bien que ce soit agir follement, je ne crois pas faire folie.
II. Il m'arrive ainsi, dame la plus gracieuse qui soit, qu'un désir, qui s'enflamme au fond de mon cœur, me conseille et me dise de vous aimer, de vous servir et de vous courtiser — et ce désir veut que je me désiste de chercher une autre compagne, à cause de vous, en qui toutes les qualités ont leur demeure ; et parce qu'Amour ne veut pas que je me détourne ni varie, je ne crois pas que, si vous me tuez, cela vous soit convenable.
III. Puisque Bonnes manières, Prix et Courtoisie trouvent chez vous leurs moyens de subsistence et leur nourriture, et si Amour n'est pas vil, ne chassez pas Merci de votre compagnie, car chaque jour, en amoureux parfait, j'implore votre merci, et si Merci vous est inconnue, alors ma vie vaut bien moins que si je mourais.
IV. Mais il est vrai que par ma légèreté je veux monter plus haut que de droit, car, quittant la belle plaine, je me dirige vers le mont à la poursuite de cette joie dont je ne suis guère digne ; car Amour me dit, quand je veux y renoncer, que bien des fois un homme de basse naissance monte et acquiert plus que le droit n'accorderait.
V. Jules César fit la conquête du monde entier par ses propres efforts, non pas qu'il eût été seigneur et roi d'Irlande, comte d'Anjou et duc de Normandie — au contraire, c'était un homme d'humble origine, d'après ce que j'ouïs dire — mais parce qu'il était preux, vaillant, noble, il éleva sa renommée au plus haut point possible.
VI. Aussi ce qui me réconforte, c'est la pensée que, si je vis assez longtemps, j'aurai encore de vous tout ce que mon cœur demande ; puisqu'un seul homme, sans donjon ni tour de guet, conquit le monde et l'eut en son pouvoir, moi également, je le pense, je dois être à bon droit empereur de votre amour comme lui l'était du monde sans y avoir aucun droit.
VII. Douce dame, courtoise et débonnaire, qu'il ne vous ennuie pas que je vous aime sans tromperie et sans cœur inconstant, car ce qu'Amour veut doit être.