I. L'Amour ne me délaisse, ni ne me veut garder, et je ne puis lui échapper ; mais il me fait languir comme celui qui croit tomber d'en haut, quand, en rêve, il voit en pensée sa mort, s'il tombe ; et il ne sait à quoi lui sert l'extase... (?) C'est ainsi qu'Amour et Soupir me font languir, car nulle joie ne m'adoucit la peine que me cause la joie précieuse qui me manque.
II. Je n'ose m'en aller, ni rester, je ne puis vivre et n'ose mourir. Je ne demande pas la mort, car je crains trop de faillir (et il ne faut jamais désespérer). Je ne puis vivre, tant mon cœur est triste ; car sans joie l'homme ne vit ni ne meurt : il languit. C'est pourquoi on nomme cela langueur, puisqu'elle tue : car le désir déchirant me tuera, que je m'en aille ou que je reste — parce que celle qui me peut guérir ne me plaint.
III. Dieu ! Qui a jamais vu cela : plus je m'éloigne d'elle, plus je la désire ; et plus je la contemple, plus je l'aime, car la Valeur la rend encore plus précieuse, et la Beauté encore plus aimable à mes yeux, si bien que je garde son image en mon cœur et j'en exclue tout le reste du monde. Car à la voir et à l'entendre l'estime des gens de bien augmente, et mes soupirs aussi. Je meurs donc, quand je m'en éloigne, et je meurs quand je suis auprès d'elle.
IV. Contre ce mal rien ne peut me servir, sauf celle qui ne me veut guérir ; nulle joie ne peut me venir d'ailleurs, car elle ne saurait me plaire. Jamais, depuis qu'Amour mit son image dans mon cœur, aucune pensée n'a pu l'en faire sortir. J'aime donc mieux une mort honorable qu'une joie vulgaire et vile : car une joie vile s'en va et se brise bassement ; elle ne peut donc ni ne doit me plaire.
V. Je ne sais comment lui faire savoir mes sentiments ; car dès que j'y pense, aussitôt je crains qu'un autre ne s'en aperçoive ; et je regarde çà et là pour voir si personne ne devine mes sentiments : car, de même qu'un trésor d'or pur est plus précieux qu'un autre d'étain, ma pensée est plus précieuse — bien que le souci soit fou —que toute autre pensée. Je maîtrise donc sagement mon cœur, pour ne pas lui nuire.
VI. Dame Marguerite, vos paroles, votre aspect, votre aimable accueil prouvent que rien ne vous manque de ce qui convient à une noble dame.