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030,IV

Français
Pierre Bec

V. 1-44 : Tant m'agréent et me plaisent Jeunesse et Amour, à qui je me consacre à jamais, que je ne vois rien d'autre dont j'aie soin et cure : ainsi est mon destin. Mais la richesse que je retire de ma constance amoureuse est mon plus grand trésor ; de même que ma franchise, mon cœur sincère et mon bon espoir dont je pense, si Dieu m'encourage, qu'ils triompheront encore davantage. C'est ainsi qu'agit tout homme qui veut connaître la joie d'amour. Il faut qu'il sache souffrir peines et chagrins, tristesses et arrogance, et l'orgueil et l'effroi qu'Amour montre souvent. Et que les interdictions et les réticences ne soient pas prises en mal. Ce sont les douces et paisibles souffrances, les belles prières courtoises qui condamnent l'orgueil de diverses manières. Qui se mêle d'aimer sans savoir courtoisement prier sa dame fait encore grand dommage ; car Amour veut dans le cœur courtoise et franche hardiesse : mais il ne faut point qu'il se lasse. Qu'Amour ne paie donc jamais de retour les folles vanteries de celui qui n'a pas de généreux sentiments ! Au contraire, est beaucoup plus valable la joie d'amour qui se cache car, dès qu'elle se manifeste, on ne lui accorde plus aucune valeur. C'est selon cette doctrine que se doivent comporter, à ma connaissance, ceux qui aiment d'amour sincère.
 
V. 45-149 : Mais à moi, il arrive que j'aime plus que quiconque et ainsi, aimant davantage, j'ai plus de craintes que quiconque. Car j'ose à peine croire et penser dans mon cœur que ma Dame me daigne aimer : telle est à mon égard la violence d'Amour ! Au contraire, il est certain que j'ai longtemps caché mon désir et que jamais je ne lui témoignai. Mais, dorénavant, qu'elle sache bien, s'il lui plaît, que, tant que je vivrai, je lui serai soumis : car le sourire amoureux qu'elle me fit en me regardant m'ouvrit et me transperça le cœur en son milieu. Je considère donc cela comme un jeu, et les peines d'amour me parurent plus légères. Mais maintenant elles ont si bien augmenté qu'elles m'ont ainsi détourné de toute autre action. Si bien qu'il ne me plaît point de m'y consacrer, et ne le pourrais faire, même si je le désirais. Car je conserve toujours dans mon cœur la douce et belle place que sait y avoir celle qui m'a en son pouvoir, et en qui est toute ma destinée, ma vie et ma mort. Je consacre ma vie, s'il lui plaît, à faire ses volontés. Elle m'a si bien retenu pour sien que je lui jure et lui promets que, désormais, je ne penserai ni ne ferai que ce qui lui plaira. Belle Dame courtoise, fine et instruite, votre grande beauté, les joies et les plaisirs dont vous avez toute la louange, maintiennent enfermé dans mon cœur un désir dont il faudra que je meure, si vous n'en prenez merci. Ah ! douce et franche créature, pour vous je m'enflamme et brûle et vous aime de tout mon cœur. Et si merci ne me sert de rien auprès de vous, jamais je ne me soucierai de tenter de vivre. Car un clerc ne pourrait écrire de son vivant les maux que je ressens pour vous, et je ne pense pas que quiconque les puisse jamais souffrir. Mais Amour me fait croire que je ne dois nullement renoncer à vous aimer pour toute la vie, car vous êtes si avisée, si généreuse et si compréhensive que vous aurez à mon égard indulgence et pitié. Depuis que je suis ainsi lié et pris par votre amour, Dame, en grande douceur, je veux vous demander merci, et si vous ne daignez m'aimer, permettez que je vous aime. Je vous le demande par grande merci, car avec votre seule beauté, vous me pouvez nourrir longtemps d'une douce espérance à propos de ce que je désire le plus. Car je préfère, par la foi que je vous dois, et quoi qu'il m'arrive, avoir de vous, ma Dame, une bonne espérance que tout posséder d'une autre. Grâce à Dieu, depuis que je vous ai vue, mon cœur ne put nul instant se séparer de vous ; c'est pour cela que je vous regarde par la pensée, car je ne puis faire autrement ; mais je vous verrais volontiers de mes yeux. Ce n'est nullement Orgueil qui m'empêcha de le faire ; mais il m'en manque l'occasion, Dame, maintes fois, et je ne puis aller là où se trouve votre corps. Cependant, où que je sois, Dame, vous m'avez en votre pouvoir, sans qu'autrui y ait sa part. Dieu ne fit aucune créature avec laquelle vous ayez à me partager. Aucun autre amour ne me peut contredire à vos yeux. Car jamais, Dame, sachez-le, il n'exista d'amant qui aimât autant, et avec la même loyauté, que je vous aime.
 
V. 150-192 : Léandre n'aima pas autant Héro, ni Pâris Hélène, ni Pyrame Thisbé, ni Floire Blanchefleur, qui lui valut mainte souffrance, ni Enée Lavinie, ni même Cléopâtre celui qui fut roi de Tyr. Et je ne pense pas que le roi Etéocle eût un désir aussi ardent et aimât autant et aussi sincèrement Salamandre, ni jamais Tristan Yzeut, dont il eut tant à souffrir. Ni Bérenguier Quendis, ni Séguin Valense, ni Absalon Florissen, ni jamais Ithys, à ce que je crois, n'aima Biblis autant que je vous aime. Jamais il ne fut d'amant qui aimât autant sa dame, et je ne pense pas qu'il soit jamais un cœur d’amant aussi fidèle, car moi, Dame, je ne me fâche point. Votre amour m'entoure si doucement, m'enlace et me fait si gentiment violence, que je ne sens mal qui ne me soit agréable. Qu'adviendra-t-il alors ma Dame, de votre amant qui vous demande de lui faire quelque present ? Je n’ose vous dire de m'aimer ; je n'ose vous demander une telle chose. Mais, si cela vous agrée, Dame, vous pouvez bien faire semblant de m'aimer sans que cela ne vous soit pénible. Et si avec seulement un peu de peine vous pouvez retenir un amant aussi sincère que je le suis il faut bien que vous le vouliez.
 
V. 193-201 : Dame, je ne puis en dire davantage, car j’ai souci de tout le monde (?) ; mais vous pouvez bien savoir et connaître mon mal et ma profonde douleur.
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C'est pour cela que je vous rends louange et merci pour tous les biens que vous m'avez accordés, et vous en rendrai sans cesse grâce, à vous qui êtes si près de mon cœur.

 

 

 

 

 

 

 

 

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