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030,I

Français
Pierre Bec

v. 1-20 : Celui de qui vous êtes le plus près du cœur, Dame, m'a prié de vous adresser son salut ; celui qui vous aima depuis qu'il vous vit, d'un cœur sincère, humble et fidèle ; celui qui ne peut aimer d'autre dame ni n'ose à vous crier merci ; celui qui languit à cause de l'amour qu'il a pour vous et vit sans joie, en grande douleur ; celui qui, sans vous, ne peut avoir en ce monde ni joie ni plaisir ; celui qui ne sait que faire de lui-même, s'il ne trouve merci auprès de vous, vous salue. Il salue aussi votre renommée, votre bonté, votre valeur, vos entretiens, vos paroles, la manière dont vous savez accueillir et honorer, votre mérite, votre culture, votre savoir et votre raison, votre beau corps, votre doux sourire, votre terre et votre pays.
 
V. 21-53 : Mais l'orgueil dont vous faites preuve à son égard, il voudrait bien que vous l'eussiez pour autrui ; car cet orgueil, Dame, et l'épouvante où vous le fîtes vivre, sont pour lui un tel sujet de tristesse qu'il n'eut plus jamais ni joie ni réconfort, et ne sait plus de quelle manière se consoler. Mais le meilleur réconfort qu'il en retire, c'est de savoir qu'il mourra pour vous ; et il lui est plus agréable de mourir pour vous que de vivre dans la joie pour un autre. Il lui plaît de mourir, puisque vous le voulez ; mais il ne voudrait point que vous le voulussiez ; il voudrait vivre, au contraire, si cela vous agréait ; mais puisque cela ne vous plaît, il ne le veut nullement. Car il ne veut rien que vous ne vouliez, à l'exception d'une chose dont il subit la contrainte. Car il vous aime d'un cœur si sincère qu'il languit et meurt de désir ; il en subit la contrainte et vous la fait subir : c'est là toute la raison qui lui permet de se disculper à vos yeux, s'il fait la moindre chose qui vous déplaise. Car on ne doit point accuser quelqu'un d'une chose qu'il fait par force. Mais tant est grand votre mérite qu'est juste tout ce que vous voulez ; et puisqu'il vous aime sans que cela ne vous plaise, pour cette seule raison, si cela vous agrée, vous le pouvez haïr. Mais vous devez savoir une chose : c'est que la raison fait parfois prendre garde, et rarement la suivent courtoisie et bon sens.
 
V. 54-76 : Dame courtoise et avenante, que la raison ne vous fasse pas oublier Merci : cela, vous ne le devez point faire. La raison écarte d'elle-même maintes choses que Merci accepte et retient. Raison est farouche et méchante ; Merci est douce et gracieuse. Raison s'irrite, Merci adoucit. Raison détruit, Merci nourrit. Raison n'a que regards pleins d'orgueil, mais humbles sont les yeux de Merci. Raison est pleine de fiel, il n'est que miel en Merci. Souvent, tandis que Raison sépare les amis, Merci réconcilie les ennemis. Raison tue par jugement, Merci conduit au salut. Maintes fois, Raison condamne à mort, quand Merci pardonne le tort. Merci vaut donc mieux désormais, Dame ; c'est pour cela qu'il me semble, si cela vous est agréable, que Merci me doive être d'un plus grand secours auprès de vous, qu'Orgueil, qui agirait à mon dam (?).
 
V. 77-162 : Belle Dame, courtoise et vertueuse, au visage joyeux et fier, en qui séjournent beauté et jeunesse, savoir, courtoisie et entendement, et toutes les hautes qualités dont aucune ne saurait manquer, pourquoi n'avez-vous point merci de moi ? de moi qui, sans vous, n'aurais point de joie ; et je ne sais que faire de moi-même si Merci perd son indulgence et si votre cœur hautain ne s'abaisse au point de vous faire éprouver de l'humilité envers moi, que rien ne peut secourir en ce monde, si vous m'abandonnez. Mais si hauts sont votre mérite, votre parage et votre noblesse, que je crains, si mon mal et ma souffrance arrivent devant vos yeux, que votre orgueil ne vous en empêche. Mais auprès de Dieu, notre Seigneur, juste, humble, cher et bon, un cœur tendre, de douces prières, Merci et Humilité ont plus de valeur que richesse et avoir. Cela, nous savons tous que c'est vrai. Et il me semble qu'il serait juste, puisque jamais je ne vous outrageai en quoi que ce soit, puisque je vous aime d'un cœur sincère, le plus profondément que je puisse et sache, et vous mets au-dessus de tout ce qui m'est cher, (il me semble qu'il serait juste) que je doive trouver merci auprès de vous. En vérité, je vous puis jurer une chose : c'est que, pourvu que Dieu me laisse agir selon votre plaisir, vous n'aurez pas de meilleur ami au monde, pauvre ou riche, qui soit si bien disposé à exécuter vos ordres, comme je le serais en toutes occasions. Mais je crains que vous ne m'accordiez jamais vos faveurs, douce Dame. Au contraire, vous me faites mal, et souffrir douleur si profonde que vous me faites mener vie pire que mort. Pourtant, si vous pouviez avoir à mon égard des torts ou de quelconques reproches, [vous auriez de mon côté torts et péchés ; car si vous n'aviez point, lorsque vous montrai discrètement, au début de mon amour, à quel point je vous aimais plus que quiconque,] (1) — afin que je connaisse ce qu'il y a en vous (?) —, si vous n'aviez point toléré que j'en dise davantage, j'aurais tenu clos mon cœur fidèle. Je ferais semblant de vous haïr et vous aimerais en cachette, de telle manière que vous n'en sachiez jamais rien ; et je ne perdrais pas le doux soulas, les plaisirs et les courtoises réponses qui font que tout homme, selon ce qu'il est, vous quitte avec bienveillance, louange, gratitude et merci. Nul homme ne vous voit sans être votre ami, tant votre mérite est rare et précieux ; mais envers moi, qui vous aime le plus, vos paroles sont farouches et sombres, alors qu'elles sont bienveillantes envers tout autre. Il n'eût donc pas fallu, Dame, que je vous fisse voir mon cœur, si j'avais pensé, ou pu savoir, qu'un tel malheur m'arrivât. Mais je le sais bien maintenant : tel qui pense se chauffer se brûle ; et je n'aurais pas le moindrement pensé qu'Amour me fît subir pour vous le quart de ses violences, le jour où votre valeur, votre mérite et votre beauté me firent oublier d'autres amitiés. Depuis lors, grâce à Dieu, j'ai été plus vôtre que mien, par mon entendement et ma raison, mon bon cœur et mon bon vouloir, pour rendre plus hautes vos vertus, chaque fois qu'il convient de le faire. Et si Merci ne me secourt auprès de vous, triste, marri et honteux, j'abandonnerai chants, plaisirs et joies ; et jamais homme n'y fut plus contraint. Je ne puis plus être joyeux, s'il ne vous agrée point de jeter plus près de moi des regards d'amour et de merci. Et quant à mes espoirs, mon cœur et ma personne, je les abandonne tout entiers à votre merci.
 
 
 
Note :
 
1. Le passage entre crochets est traduit d'après QRc. ()

 

 

 

 

 

 

 

 

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