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010,I

Français
Pierre Bec

V. 1-36 : Bonne Dame, vertueuse et honorable, humble, constante, instruite et pleine de mérite, joyeuse et courtoise, digne et bien apprise, Dame aux douces paroles, sage et parfaite, loyale, juste et intelligente ; vous qui êtes comblée de toutes les qualités et pourvue de fine beauté, votre véritable Assassin qui croit conquérir le paradis en exécutant tous vos ordres, l'ami qui vous est obéissant, et craint à un tel point de faillir à vos yeux qu'il n'ose vous confier ses désirs, a écrit dans cette lettre ses pensées et toutes ses paroles, n'ayant pas assez de hardiesse pour vous présenter cette lettre, lui en personne ou par l'intermédiaire de quelque messager ; car jamais il ne montra son cœur à d'autre personne sous le ciel qu'à vous, dont il tient en fief ses désirs et son savoir, sa raison et sa ferme volonté. Et s'il avait la maîtrise du monde, c'est de vous seule qu'il la tiendrait. Mais s'il n'ose vous transmettre ni vous envoyer ou vous apporter son écrit, il le mettra dans un beau lieu, dans la cheminée, près du feu, et il lui dira : « Reste ainsi jusqu'à ce que ma dame prenne merci ». Quant à vous, Dame, vous le trouverez et, quand vous le verrez, lisez-le, je vous en prie, jusqu'à la fin. Et écoutez ce qu'il veut vous dire :
 
V. 37-52 : Douce Dame, mon cœur et mon esprit, ma volonté et mes désirs, je les ai mis à votre service et pour vous j'abandonne tout ce qui fait ma valeur. Car, quand vous m'avez dit que je parlais beaucoup et agissais fort peu, vous m'avez donné un tel désir d'agir que si j'avais trouvé Roland ou Samson, celui qui était si fort, chacun d'eux eût été prisonnier ou mort. Mais cela ne dure guère par la suite, car nous ne sommes nés que pour de petites choses ; et si je fis quelque chose, je ne vous dis pas quoi, car il n'est pas bienséant de se louer, et j'ai lu chez le Psalmiste que c'est l'action que loue le Maître.
 
V. 53-82 : Un présent me fut donné naguère, me signifiant que votre cœur gracieux, Dame, vous me l'aviez envoyé. Ce présent, je l'adorais sans cesse, au point de l'avoir pendu au cou. Mais à partir du jour où vous avez tenu cela pour une folie de ma part, et considéré ce don comme vain, je le jetai dans le feu brûlant : telles furent mon affliction et ma peine. Mais vous me dîtes ensuite en plaisantant que vous m'accorderiez, sans part pour autrui, des joies sans tapage ni bruit, quand il vous plairait de le faire. Je vous en prie donc, gracieuse Dame : qu'il vous plaise qu'une telle joie m'arrive et me maintienne allègre et gai. Car je vous aime tant que j'oublie pour vous, par ma foi, tout ce qui existe. Et je n'ai d'ami cordial que je ne considère comme mon ennemi, Dame, si vous me le demandez. Et il n'est point au monde de grand personnage que je n'aille aussitôt tuer, si vous daignez me le demander. Et il n'est point de mortel, eût-il tué mon père, que je ne serve et honore, si vous me dites de l'aimer, plus que s'il me pourvoyait et me faisait seigneur du monde entier.
 
V. 83-122 : Ne croyez pas que je vous aime à cause de votre noble parenté et de votre haute extraction : c'est d'amour sincère que je vous aime. Et si vous étiez dame d'Espagne ou impératrice d'Allemagne, je ne vous en aimerais guère davantage, à ce qu'il me semble. Et si j'étais roi d'Angleterre et seigneur de tout ce que Mars enferme, et devais choisir la meilleure dame, je n'en prendrais pas d'autre, en fait d'amour, que vous, qui tenez en votre pouvoir mon cœur, mon esprit et mon savoir. J'ai une telle volonté de vous être agréable, et mon cœur est si plein de constance et de pureté que tous les autres amants ne surent rien, en fait d'amour, à côté de moi. Car je vous aime pour votre courtoisie et le charme de votre compagnie ; je vous aime pour votre culture, pour la douceur de vos propros, pour votre haute intelligence, votre vrai mérite et pour toutes les qualités dont on peut dire, sans se tromper, qu'elles sont en vous. Et puisque je vous aime d'amour à ce point, rendez grâces pour ce bel essaim (de qualités) (?). Selon le Vieux Testament qui dit : « Œil pour œil, dent pour dent », vous me devez donner, si vous voulez être conforme à la raison, mérite contre mérite, amour contre amour, joie contre joie, vertu contre vertu. Car si vous aviez cherché auparavant, vous n'auriez point trouvé de serviteur aussi pur, aussi sincère et aussi sûr, porté à chanter vos louanges (?), et qui vous accordât, comme moi, à ce qu'il me semble, cent ans de fidèle amour (?).
 
V. 123-153 : Car je vous aime si sincèrement que je considère le monde entier comme néant et vous mets seule à part, Dame, et n'ai désormais de regards que pour vous. Et puisque je vous aime plus que toute chose et plus que toute autre, je le sais bien, je dois en retirer plus grande récompense que tous les autres hommes. Car Dieu a dit : celui qui m'aimera plus que tout au monde, celui-là sera aimé de moi et sera mon ami le plus proche. Et Salomon a su bien raconter qu'il aimait plus que son frère l'ami qu'il pouvait choisir comme loyal serviteur, un ami qui ne le laisse souffrir ni manquer de ce qu'il viendrait à posséder (?). Et si vous croyez Salomon, Jésus-Christ et le seigneur du monde qui nous donna le Vieux Testament, vous m'accorderez votre indulgence. Car je suis votre meilleur ami et votre sincère et loyal serviteur ; et je vous aime beaucoup plus que moi-même. C'est pour cela, Dame, que je vous demande merci, avant que ne me tuent mes désirs, mes chagrins et mes profonds soupirs. Et si vous ne m'accordez dès maintenant votre merci, lorsque je serai mort, cela ne servira plus de rien, ô Dame !

 

 

 

 

 

 

 

 

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