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Français
Pierre Bec

I. Autrefois, je fus à une audience au ciel, par bonne aventure ; les saintes statues y mettaient en accusation les dames qui se fardent. Je les vis porter plainte à Dieu contre elles, qui font renchérir la peinture en faisant briller leur visage de ce qu'on ne devrait appliquer qu'aux statues.
 
II. Dieu dit alors très aimablement : « Moine, j'entends bien que c'est à tort que les statues perdent ce qui leur revient de droit. Va vite, cours, pour l'amour de moi, et fais en sorte que les dames cessent cette pratique ; car je ne veux plus entendre de plainte à ce sujet. Et si elles ne veulent pas y renoncer, j'irai moi-même leur effacer le fard. »
 
III. « Seigneur Dieu, fis-je, vous devez faire preuve de modération et de mesure à l'égard des dames, dont la nature est de se peindre gracieusement le visage. Vous ne devriez pas en prendre ombrage et les statues n'auraient pas dû vous en parler : car désormais, à mon sens, les dames ne voudront plus leur faire la moindre offrande. »
 
IV. « Moine, dit Dieu, vous excusez là grande faute et grande imposture, si ma créature s'embellit sans mon ordre. Elles seraient donc semblables à moi, celles que je fais vieillir tous les jours si, à force de se peindre et de se fourbir, elles pouvaient redevenir plus jeunes ! »
 
V. « Seigneur, vous parlez trop fièrement, car vous vous sentez au sommet de la grandeur ; pourtant l'usage du fard ne cessera pas sans qu'intervienne une convention : ou vous faites durer la beauté des dames jusqu'à leur mort, ou vous faites si bien disparaître le fard qu'on n'en puisse plus trouver au monde la moindre trace. »
 
VI. « Moine, il ne convient pas qu'une dame se pare avec de la peinture, et tu passes grandement la mesure en prenant ainsi leur défense. Et si tu voulais pour cela chanter leur louange, elles ne devraient point l'accepter : car cette beauté qui leur contracte la peau, elles la perdent sitôt qu'elles pissent. »
 
VII. « Seigneur Dieu, qui bien peint, bien vend ; aussi se donnent-elles de la peine et font la préparation épaisse et dure, afin qu elle ne disparaisse pas trop facilement dès qu'elles pissent. Et puisque vous ne voulez pas les embellir, si elles s'embellissent elles-mêmes, n'en soyez point fâché. Vous devriez plutôt les remercier qu'elles puissent se faire belles sans votre concours. »
 
VIII. « Moine, le fard et les apprêts leur font souffrir bien des coups au bas, du corps. Et ne pensez nullement qu'elles soient mal à l’aise quand un homme les tient courbées. »
 
IX. « Seigneur, que le feu [d'enfer] les consume ! Je n'arrive jamais à remplir leurs trous, et quand je pense atteindre la rive, c'est alors qu'il me faut nager ! »
 
X. « Moine, il n'y a donc qu'à les laisser [se peindre], puisque pisser peut dissoudre le fard : je leur ferai en effet venir telle maladie que toutes ne cessent jamais de pisser. »
 
XI. « Seigneur, quelle que soit celle que vous fassiez pisser, vous devez savoir gré à Dame Elise de Montfort, qui jamais ne se voulut fourbir et contre qui jamais statue ou autel ne porta plainte. »

 

 

 

 

 

 

 

 

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