I. — Roncin, cent fois vous m'avez fait repentir de vous avoir un jour acheté, faible et pitoyable ; car je vous vois boiter fortement des deux pieds et maigrir chaque jour davantage. L'herbe que je vous donne ne vous engraisse pas, vous n'en tirez aucun profit et votre échine n'est guère lisse. Il ne me reste plus qu'à vous vendre à moindre profit — vous deviendrez [une fois vendu] gras et gai —, avant d'avoir des soucis à votre sujet.
II. — Ami Bertrand Carbonel, j'ai entendu dire que, lorsqu'on ne mange pas, les mâchoires ne servent pas à grand-chose (?), et encore moins les dents. Mais je puis vous garantir que, même si vous me donniez, la nuit, dix bottes d'herbe, sans avoine je ne serais guère à l'aise (?) ; et au bout de deux ans, je n'aurai pas grande force et ne serai pas plus vigoureux ni plus sain qu'un homme sans pain. Et je vis sans orge, comme le montre bien mon urine !
III. — Roncin débile et misérable, j'entends que vous mentez. Marie, Agnès et Adélaïde, mes servantes, ne viennent-elles pas la nuit pour te servir ? Cela, tu ne peux le nier, puant. Que veux-tu donc de plus ? L'une balaie ton antre, l'autre te fait de la lumière, l'autre change ta litière ; elles te donnent ensuite, queue-tordue, misérable faiblard, bien le quart d'une hémine d'avoine.
IV. — Aux imbéciles qui savent élégamment dissimuler leurs mensonges, il semble qu'il n'y ait point de biais [pour les percer à jour]. Bertrand, je puis en toute certitude jurer et garantir que cela n'est pas vrai et que tu n'es pas un homme digne de foi. Tu as la réputation d'être plus loyal que quiconque. Mais celui qui le proclame ne sent pas la traîne de ta robe. Car je connais ici une vieille carcasse à qui tu fais dire : « Aïe ! Aïe ! Aïe ! Seigneur ! mon échine ! »
V. — Par Dieu, te voici mort et rien ne saurait te protéger, roncin perfide ! Car à partir d'aujourd'hui je te donnerai du martrais et du réalgar ; et si tu voulais l'ébruiter, ne t'y risque pas ! Et si mon cœur s'irrite, il n'est ni sous-viguier ni juge du palais, ni voisin, ni voisine, qui m'empêchera de te battre de mon gourdin et de te laisser mort sur-le-champ, si ta grande gueule continue de mentir.
VI. — J'ai une si grande faim que je préférerais mourir, Bertrand, plutôt que de rester en proie à la douleur et à la peine ; et si cela te plaît, par Dieu, veuille bien m'entendre. Car je ne suis pas comme les moines de Cambrai, et mon jeûne me fait grandement dépérir. Ah ! saint Rémy, si j'étais une bonne poule, j'obtiendrais de vous [nourriture]. Et jamais, pas un seul jour, je ne me suis plaint de vous, tant est fine votre valeur.
VII. — Si ce n'était l'amour de Dame Saurine qui me prie de te prêter à elle, puant, je ne me ferais plus de souci à ton sujet.
VIII. — Je m'en réjouis, car d'ici à Messine il n'est point de dame plus courtoise et plus digne ; et je ne fais exception ni pour les duchesses, ni pour les reines.