I. Tandis qu'au long d'une rivière j'allais, seul et de bonne humeur, je vis de loin une gaie porchère gardant un troupeau de porcs. Aussitôt, par le sillon d'un guéret, je m'en allai vers elle : elle était farouche et laide, sombre et noire comme poix, et grosse comme une barrique ! Et ses deux seins étaient si gros qu'on eût dit une Anglaise. Quand je la vis si dégoûtante, les deux bras m'en tombèrent.
II. Elle restait plantée là, l'air niais, et je lui dis : « Dame courtoise, belle créature bien apprise, dites-moi si vous êtes pucelle. » Entre-temps, sous sa gonelle, elle gratte et frotte énergiquement son gros corps mal fait : sans le pan de sa garnache, on lui eût vu toute la fente ! Et, en même temps, elle me répondit d'une grosse voix de bouvier : « Homme, que viens-tu m'ennuyer ? De par Dieu, passe ton chemin ! »
III. — « Aimable jeune fille, lui dis-je, pour vous j'ai souffert grande peine ; c'est pourquoi je vous prie de répondre de bon cœur à ce que je vous demande. » — « Seigneur, pour fuir toute dispute et éviter tout mauvais débat, et à condition qu'on ne m'en fasse pas reproche, je veux bien vous le dire, si cela m'est permis : ni mari ni fiancé ne me gouverne, je n'ai jamais servi de planche ni de selle à aucun homme, et jamais je ne lui ai été soumise. » — « Aujourd'hui, jeune fille, vous serez prise en faute, car je sais bien qui vous étreint. »
IV. — « De mon bouvier ne me faites pas reproche, hélas !, car je serais depuis longtemps sous terre, si ce n'était la gaieté qui vient de lui. Il joue si bien du chalumeau qu'il me réjouit et me ranime ! Et il n'est de jour qu'il ne boive avec moi, à même le tonneau, à grands traits, sans la moindre tentative indécente, car il ne s'y emploie certes pas entre nous. » — «Porchère, à ce qu'il me semble, vous l'aimez d'un parfait amour. » — « Oui, plus que pourceaux n'aiment glands et plus qu'une truie qui a mis bas n'aime les choux. »
V. — « Ma sœur, vos propos sont si charmants que vous me transpercez [le cœur]. Je vous prie, dans cette fougère, allons nous amuser tous les deux, avant que ne croisse ma langueur. » — « Seigneur, je ne pense pas qu'en ce mois de mai vous me voyiez prendre ce chemin ! Qui se parjure fait mauvaise affaire (?). » — « Gentille sœurette, puisque passe-lacet sans œillet ne vaut pas grand-chose, que votre bonté me vienne en aide ! » — « Vous me ferez commettre une grande sottise, beau Seigneur, car je vous aime beaucoup. »
VI. Puis brusquement, elle manqua à sa parole, si bien que pour un peu elle eût été fort déplaisante à mon égard. « Ma sœur, puisque vous savez si bien prendre, allons tendre le piège là-bas sur l'herbe nouvelle. » Elle se retrousse les jupes pour mieux marcher sans encombre et me conduit sous un hêtre ; et là, bientôt, elle s'abandonne. — « Du côté de devant, lui dis-je, vous êtes trop avenante, jeune fille ; aussi ne me verrez-vous point, de cette année, passer par votre chenal ! »
VII. « Parce que vous me voyez d'humeur facile, Seigneur, vous pensez à quelque tromperie, mais j'aimerais mieux être frappée par la foudre plutôt que de commettre une telle faute. » Elle prend son chemin et file, et s'en va, jupon déchiré, si large qu'on eût dit une maie ! Mais en passant un ruisseau elle glisse et manœuvre avec tant de vaillance qu'elle se donne un coup sur la mâchoire qui la fait rester là de tout son long. Moi qui vis sa grande habileté, je lui abandonnai tout le terrain.
VIII. Humble fleur, pureté ni beauté ne se déprennent de vous, et comme vous êtes Fleur de noblesse, mon cœur me dit et me répète qu'il est insensé celui qui refuse votre loi.