Le poète chante pour triompher des hésitations de celle qu'il aime, pour la convaincre qu'elle doit l'aimer, & dans cette supplication d'amour nous retrouvons quelques-unes des idées essentielles de la nouvelle doctrine. Pourquoi tarder à agréer les hommages d'un amant sincère? Pourquoi le pousser au désespoir? L'aimer est au contraire un devoir, même s'il est de condition plus humble. Ce qu'on doit exiger, c'est un cœur pur de mauvaises pensées, & tel il est bien lui, Montanhagol, qui ne s'est voué au culte de sa dame que pour veiller sur son honneur. Qu'elle l'aime donc, même plus humble qu'elle: plus le bienfait vient de haut, plus est grande la reconnaissance, plus aussi est souverain le pouvoir de la dame sur son amant. Qu'elle l'aime, car personne ne l'aime autant que lui, car il dédaigne pour elle bien d'autres dames qui consentiraient à l'aimer. Qu'elle l'aime, enfin, car tôt ou tard l'amour saura bien l'y contraindre.
Tout ce que nous pouvons dire sur la date de cette pièce, c'est, d'une part, qu'elle est postérieure à 1229, &, d'autre part, qu'elle est peut-être de la même époque que les autres pièces où il est aussi question d'Esclarmonde, c'est-à-dire de 1242 à 1250. Cf. Introduction, La vie de Montanhagol.
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La chanson se compose de cinq coblas crozadas unissonans & d'une tornada. Maus (op. cit., p. 101, n° 135) décomposait la strophe en:
10 a 4 a 6 b 10 b 4 b 6 a 10 c 10 d 10 d 10c
formule dont il ne trouvait aucun autre exemple. En réalité, il faut ici, comme pour les pièces III & VII, considérer avec Appel les vers 2 & 4 de chaque strophe comme des décasyllabes (= 4 + 6) dont la première partie rime avec la fin du vers précédent, c'est-à-dire comme des décasyllabes empeutatz. On obtient ainsi une strophe composée de huit décasyllabes en a b b a c d d c, formule très usitée chez les troubadours en particulier avec les décasyllabes, & dont Maus (op. cit., p. 119, n° 579) relève de nombreux exemples. Certaines même ont ceci de commun avec la pièce de Montanhagol que la troisième rime en est féminine, mais aucune de celles que cite de Lollis (Sordello di Goïto, p. 130) ne présente les mêmes rimes: an, or, ia, er.