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Stroński, Stanislas. Le troubadour Elias de Barjols. Toulouse: Imprimerie et librairie Édouard Privat, 1906.

132,012- Elias de Barjols

 

IV. (132, 12.)

 

Les manuscrits. — Trois lignes se déclarent par lesquelles cette poésie nous est parvenue : x (CER), y (DIK), z(N) :

 

x (CER) : vv. 1 (sila pour sil), 4 (manque), 23 (quieu pour quien), 25 (saubes contre saubest), 26 (retraire pour atraire), 48 (siala pour sial). — a (CR) : Faut-il supposer un rapport plus étroit entre C et R ? Il n’y en a pas, à vrai dire, de preuves matérielles dans le texte ; tout ce que l’on peut relever se borne à quelques particularités communes d’ortographe (v. 12 duptansa pour doptansa, v. 21 aulhatz contre uoilhatz ; vv. 17 et suiv. rime -aia écrit -aya). Une source commune ne serait donc attestée que par l’attribution fausse (à Bernart de Ventadorn), qui ne peut, comme nous l’avons vu (Introd., § II), s’être produite dans aucun des deux mss. séparément. Il en est de même pour l’attribution à Arnaut Catalan (cf. ibid.), et, de plus, la double erreur dans le placement et dans la suite des vers 25-8 attestent une source intermédiaire entre x et E, que C et R n’avaient pas connue. — Tels sont, dans la branche x, les degrés que nous pouvons entrevoir. De plus, le texte x nous est parvenu, comme d’ordinaire, le moins indirectement dans C, le plus indirectement dans R, qui contient des lacunes (vv. 30 et 32-4), des vers corrompus (10, 34, 41, 42), des changements de sens (vv. 36, 38), des non-sens (vv. 17, 29, 31).

(DIK) : la suite des vers 25-8. — b (IK) : vv. 2 (falhiria pour falhira), 7 (a lei contre a lieis), 9 (non pour nol), 18 (debonaire, comme E, pour e debonaire), 30 (caissim contre caissi), 32 (manque), 36 (menbrens pour membreus), 48 (seal pour sial).

(N) : il n’y a pas de fautes communes dans DIK et dans N (tout se borne à no¯ DIK, non N pour nom CER v. 2 ; fera de DIKN pour feira de CER v. 5, qui ne constitue pas une faute matérielle). D’autre part, N ne partage pas avec DIK la grosse faute des vers 25-8 et s’en éloigne sensiblement par son système orthographique. Comme 132, 13, notre pièce précédente, de même celle-ci se trouve dans N uniquement à titre de descort, et ce ms. doit l’avoir puisée dans une source à part qui lui avait fourni tout son recueil de descorts, dont une grande partie ne se trouve pas dans les manuscrits de la famille DIKH, etc. (cf. Gröber, Roman. Stud., II, 479), sans que cette source doive avoir été le recueil des chansons d’Elias de Barjols, autres encore que les deux descorts, utilisé par la source de DIK.

 

Forme et genre. — C’est un descort. Sa formule est la suivante :

 

 

C’est-à-dire : quatre coblas singulars à deux rimes chaque ; le nombre des vers est de huit par strophe, ce qui constitue le premier trait commun de toutes les strophes ; la suite des rimes est partout la même : deux rimas encadenadas, ce qui constitue le second trait commun de la structure interne de toutes ces coblas singulars, avec la particularité, cependant, que la strophe IV a, à l’exception des vers 6 et 8, une rime intérieure qui décompose les deux octosyllabes en quatre parties quadrisyllabiques : 4a 4a | 4a 4b ; la longueur des vers est la même dans les deux premières strophes. On en a une autre, mais constante, dans la troisième ; une autre encore, mais aussi constante, dans la quatrième ; aucune subdivision des coblas n’étant indiquée par des variétés métriques, on ne saurait les décomposer qu’en deux moitiés chaque, suivant la pensée. On voit qu’en somme la facture de ce descort est beaucoup moins compliquée que celle du précédent, les différences de strophe à strophe ainsi que les subdivisions au milieu de chaque strophe étant beaucoup moins accentuées.

Un détail de la formule que nous avons donnée pourrait être regardé comme douteux ; on se demandera peut-être si c’est bien d’une rime intérieure qu’il s’agit dans la strophe IV et non simplement de vers courts. Appel s’est occupé de cette question (Vom Descort, dans Z. f. r. Ph., XI, p. 215 : « très fréquents sont des vers tout à fait courts de 1, 2, 3, 4 syllabes, mais dans les cas pareils on se demandera toujours jusqu’à quel point ces parties courtes ne doivent être composées en des vers plus longs ») et il paraît que, quant à notre pièce, Appel est porté à accepter la rime intérieure. Il y en a, en effet, des indices assez nets : les deux vers octosyllabiques sans une rime intérieure, le sixième et le huitième, l’attestent tout d’abord et, d’autre part, il est évident que le poète s’est proposé de maintenir dans ce descort un accord dans le nombre de huit vers par strophe et dans la suite des deux rimas encadenadas. Dans des conditions à peu près pareilles, P. Meyer a gardé la rime intérieure dans le descort 461, 42 (Romania, I, 402 ; cf. Annales du Midi, XV, 1903, p. 493). En général, les indices pour ou contre la rime intérieure sont même moins nets que dans notre descort. Mais on peut citer, sans parler des remarques des Leys, un exemple très explicite attestant la distinction que les troubadours avaient faite entre la rime intérieure et la rime finale. La chanson 133, 1 d’Elias Cairel (cf. Mahn, Ged., 186, et A., n. 134, p. 144) a, dans le premier vers de chaque strophe, trois rimes intérieures : I. Abril | ni may | non aten | de far vers... ; II. Gran vil- | tat fay | selh que pren | ad envers... ; III. Sotil- | men tray | e desten | per travers... ; IV. Humil | veray | plus suffren | d’un covers... ; V. Gentil | cors gay | e plazen | e divers...  ; VI. Ges quil | ni bray |non enten | de pervers... Or, dans ce cas, il est impossible de nier l’existence de la rime intérieure parce que, d’après la manière habituelle à Elias Cairel (133, 1, 4, 8, 13 ; et cf. 133, 3, 11), les strophes y sont liées par des rims derivatius et aux mots finals des vers cités correspondent à la fin des strophes précédentes : enversa, traversa, coversa, diversa, perversa. (Cf. aussi Serveri de Girona 434, 14.)

Ce qui constitue une particularité de notre descort, ce sont les deux strophes courtes III T et IV T. Il n’est pas facile de les dénommer : faut-il les concevoir comme tornadas ou non ? Il est déjà fort hasardeux de parler d’une tornada au milieu d’une poésie, et le cas serait sans analogue. Pourtant, il ne me serait pas possible d’établir une distinction essentielle entre III T et IV T, la première se comportant, au point de vue de la forme, à l’égard de III, comme la seconde à l’égard de IV ; il est caractéristique que la tradition E, ayant compris III T comme tornada, l’avait placée — à tort, comme le sens et la forme l’indiquent, — à la fin. Une fois ce lien accepté entre les deux strophes III T et IV T, il faut considérer ce qui les rapproche et ce qui les éloigne des tornadas habituelles. III T et IV T ne répètent pas, il est vrai, comme le font les tornadas ordinaires, la forme exacte d’une partie finale correspondante de la strophe précédente, mais l’une et l’autre reprend une des deux rimes enchaînées de la strophe précédente, notamment la rime qui se trouve à la fin, pour la continuer dans tous ses vers, et la métrique de ces vers correspond exactement à celle de la strophe ; IV T est, par son sens, incontestablement un envoi, et l’envoi est, dans la poésie provençale, toujours une tornada, bien que la tornada ne soit pas nécessairement un envoi ; en revanche, III T a un trait peut-être plus essentiel même de la tornada, qui est un « retour » : III T joue, dans toutes ses rimes, sur le mot traire, repris précisément d’après les deux dernières rimes -aire de la strophe III, ce qui est, à côté du retour de la forme, une habitude des tornadas, revenant volontiers sur la même pensée et souvent, surtout dans les anciens troubadours, sur les mêmes mots en rime qui s’y trouvaient dans la partie correspondante de la dernière strophe (cf. Appel, Peire Rogier, p. 29, n. 1 ; et cf. Stengel, Gr. Grundriss, II, l, p. 83). L’objection principale contre la conception de ces deux coblas comme tornadas serait peut-être — la question de la position de III T au milieu mise à part — le fait que les tornadas habituelles reproduisent exactement, vers pour vers, la forme métrique de la partie correspondant à la fin de la dernière strophe. Or, la définition des Leys (I, 338-40) est assez large, et elle dit, entre autres choses : Si acordansa no havia, coma chansos estrampa, adoncx la tornada no vol haver acordansa am la meytat de la dicha cobla, quar degus dictatz estramps no deu haver regularmen acordansas ni en tornada ni en deguna de las coblas... Et on sait que cette définition des Leys ne se trouve nullement désavouée par la pratique des troubadours ; en effet, à partir de Guilhem de Poitiers (Farai chansoneta nueva, où les strophes sont singulars, sauf la rime -ant ; cf. p. ex. : Peire Vidal 364, 42, ou bien Moine de Montaudon 305, 15, etc.), d’un bout à l’autre de la poésie provençale, une tornada à nouvelles rimes, sans accord avec la dernière strophe, est d’un usage courant dans les pièces à coblas singulars ; d’autre part, d’accord avec la réserve contenue dans le regularmen des Leys, on trouvera dans toute sorte de poésies des tornadas qui reproduisent pourtant les rimes de la dernière cobla singular : p. ex. : Peire d’Alvernhe, Chantarai d’aquestz trobadors ; les trois tornadas de 156, 6 de Falquet de Romans (5, 3, 2 vers) : Bonifaci Calvo dans son sirventes-descort 107, 11 ; Uc de Saint-Circ, Un sirventes vuelh far, etc. Et comme cette définition se rapporte essentiellement aux descorts, qui sont faits en réalité, pour la plupart, de coblas singulars, on y rencontrera le même usage facultatif : cf., p. ex. les tornadas de Ses alegrage de Guilhem Augier Novella (éd. Müller,Z. f. r. Ph., XXIII, pp. 66-70), où les strophes courtes IX, X, XI ne reproduiront aucune rime précédente, et de même les deux tornadas, dont un envoi, de 355, 1 de Peire Raimon, tandis que Una valenta d’Elias de Barjols, Quan vey de Guilhem Augier Novela (Gr. 242, 61 sous Guiraut de Borneil, Z. f. r. Ph., XXIII, pp. 63-4), 461, 42, d’Albertet de Sisteron, Un descort de Guilhem de La Tor (Studj, VIII, pp. 454-5), ou bien le descort 461, 104 (éd. Appel, Z. f. r. Ph., XI, pp. 216-8), reproduisent dans leurs tornadas les rimes finales de la dernière strophe. — En somme, il est clair que nos deux coblas courtes, III T et IV T, présentent quelques traits essentiels des tornadas, la première en ce qu’elle revient sur la pensée de la strophe précédente, la seconde en ce qu’elle est un envoi. Leur facture formelle ne saurait donc s’opposer à ce qu’on les qualifie de tornadas, d’autant plus que, même au point de vue de la forme, elles se rattachent très visiblement aux strophes précédentes. En fin de compte, je crois qu’il faut reconnaître la valeur et même le titre de tornadas à ces deux coblas. Il paraît naturel de croire qu’Elias de Barjols, profitant des privilèges spéciaux des descorts, y a tenté une double innovation consistant : 1º à construire la tornada ni tout à fait d’après la dernière strophe, ni tout à fait différemment de celle-ci, mais en accord partiel avec celle-ci et avec un « retour » partiel de la forme ; 2º à introduire une tornada dans le corps du poème, innovation plus frappante, mais en somme naturelle, explicable et nullement contradictoire avec la conception essentielle de la tornada.

 

Date et localisation. — Le terminus a quo, fourni par la mention de la valen reina Elihonors, n’est pas sûrement 1200 ou 1204. Quant au terminus ad quem, aucune date jusqu’à la mort de Raimon VI (1222) ne saurait être écartée a priori. Elias peut avoir célébre la comtesse de Toulouse, sœur d’Alfonse, comte de Provence, même après s’être acquis la protection de la cour provençale. C’est uniquement parce que son séjour à Toulouse se place probablement avant qu’il se soit fixé en Provence que nous plaçons ce descort, qui peut bien d’ailleurs se rattacher réellement à l’autre, avant les chansons de l’époque purement provençale. 

 

 

 

 

 

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