POÉSIES APOCRYPHES D’ELIAS DE BARJOLS
XV. (131, 2.)
Le manuscrit. — Dans a seul.
La forme et le genre. — Coblas singulars, à deux rimes croisées (a fém., b masc.) chacune, de neuf vers décasyllabiques chacune :
10a’ 10b 10a’ 10b 10a’ 10b 10a’ 10b 10a’
Les vers 13, 19, 30, 34, 41 ont une césure enjambante ; le vers 31, qui n’est pas clair, exige, au point de vue de la grammaire et de la métrique, la correction : sembl ; pour le vers 6, il y a élision dans la césure (cf., sur la césure épique et enjambante, Thomas, Romania, XXVII, pp. 593-4). — Au vers 38, tenra : an est une rime irrégulière ; d’autre part, ce mot indique que dans l’original il y eut : pla,crestia, etc., et non pas plan, etc. (cf. la même chose pour o et on, v. 11, var., et cf. pour le même ms. a, XIII, v. 2, var.).
Parmi les pièces peu nombreuses de la même facture (Maus, p. 103, n. 212) — et ce sont, sauf les trois coblas isolées, de Blacasset 96, 10, de Bertran Carbonel 80, 50, et de Raimbaut d’Eyras 398, 1, des tensons — deux : 15, 1 = 392, 1, et 13, 1 = 436, 2, sont construites en coblas doblas, ce qui est très naturel pour les tensons ; dans l’échange de coblas de Nicolet et d’Uc de Saint-Circ 310, 3, = 457, 36, — car ces deux coblas se tiennent, — la formule est gardée dans la réponse, mais les rimes sont, comme dans notre pièce, changées.
Tenson par le genre, notre pièce est partimen par espèce, c’est-à-dire « le troubadour qui propose la question à débattre laisse à son adversaire le choix entre deux solutions et prend pour lui celle des deux qui reste libre » (P. Meyer, Les dern. troub., dans Bibl. Ec. ch., 1869, p. 474 ; Jeanroy, La tenson prov., dans Ann. du Midi, II, pp. 285-8, où on trouvera la bibliographie du sujet). Le dilemme d’Elias : trois femmes ou une assiette d’eruga, trouve son commentaire dans le fait que l’eruga est un aphrodisiaque (cf. note, v. 3).
Par là, notre partimen se rattache à ce type de dilemmes où l’un des partenaires cherche à aiguiser le problème, en ne laissant à son adversaire que le choix de deux objets dont l’un paraît précisément utile ou nécessaire à l’autre (cf. les vv. 15, 25, 30-1 et 26). D’ordinaire, cette opposition entre les deux objets n’existe pas naturellement, et on ne réussit à la créer qu’en introduisant deux idées opposées dans le même membre du dilemme et en soulignant l’opposition par l’autre membre, c’est-à-dire à l’aide de quatre idées dans le dilemme. Ainsi, par ex. (dans Selbach, Streitgedicht, § 64, nº 146, pp. 73-5), le choix est offert entre un bon vêtement en plein hiver ou une belle dame en été, ou bien (Studj, VIII, p. 473) entre : « Una bella capa blava Que plueja no·us fezes regart », d’une part, et « O qe fossetz colgat al crest Totz sols ab la muiller d’En Cest ». — Le caractère grivois de ce partimen se retrouve dans beaucoup d’autres. Selbach (ibid., n. 145, p. 73) a voulu voir dans ces pièces non seulement « l’expression juste de l’ars amandi des troubadours », mais encore une preuve de « la révoltante immoralité de cette époque corrompue » ; à quoi Jeanroy (ibid., p. 301, n. 1) répond que « c’est attacher beaucoup d’importance à quelques inoffensives plaisanteries ».
Date et localisation. — Pour ces interlocuteurs, cf. Intr., II. Ses poésies. — Authenticité de celles qui lui sont attribuées, 3. et suiv. La date qui résulterait de la mention de Blacatz — (et qui s’accorderait avec l’hypothèse que les deux interlocuteurs sont Jaufre Reforsat et Elias de Barjols) — est 1215-30. Je n’entreprends pas une identification des dames (v. 5), parce que : 1º il est a priori, vu l’allure de la pièce, possible et même probable qu’il ne s’agit pas de personnages réels ; 2º parce qu’aucune identification ne serait, même approximativement, sûre.
(De Lollis dans ses Proposte di correzioni ed osservazioni ai testi provenzali del manoscritto Campori, dans Studj, IX, note pour cette pièce, p. 167 : v. 1, Jaufrezet ; v. 4, « Manca una sillaba. Suppl. e tra abelis e a ? ; v. 14, cf. ci-dessous.)