I
La « fin'amors » marginalisée
10
Contre les femmes
Pèire de Bossinhac
On ne sait presque rien de ce troubadour. D'après sa vida, il aurait été originaire de Hautefort (Dordogne) et contemporain de Bertran de Born, ce qui est effectivement confirmé par le cartulaire de Dalon. Mais le nom même de Bossinhac (préférable à Bussinhac qui manque de justification) n'a pas été identifié avec certitude. En tout cas, il n'y a actuellement ni Bussignac ni Boussignac dans la région de Hautefort. Nous avons conservé de lui deux sirventés qui constituent bien, comme le dit son biographe, une attaque en règle contre les femmes ; en revanche, on ne trouve nulle trace d'un éventuel débat littéraire avec Bertran de Born.
Comme on le voit dans la présente pièce, la traditionnelle misogynie médiévale n'est nullement incompatible avec l'éthique et la pratique de la fin'amor, à laquelle elle s'oppose parfois, dans un contre-texte résolument anticourtois, farouchement. Il faut quand même distinguer à notre sens trois sortes de misogynie :
1. Celle des troubadours moralisants et un peu aigris (type Marcabru ou P. Cardenal), dont l'antiféminisme est toujours contingent et plus ou moins lié à des conceptions éthiques et religieuses bien définies (cf. pièces nos 3 et 4) ;
2. L'antiféminisme provisoire et calculé, nettement circonscrit dans le champ des reproches, plus ou moins intéressés, qu'on adresse à la dame qui refuse sa merci. Dans ce cas, les plus élégiaques parmi les troubadours dits idéalistes (B. de Ventadour et Gaucelm Faidit, par ex.) son parfois très amers sur la prétendue perversité des femmes ; même si comme Bernard, ils distinguent assez subtilement entre la femna, péjorativisée, et la dòmna, qui par définition ne saurait l'être. Témoin cette tenson sur la perfidie des femmes entre Gaucelm et un certain Bernard, qui pourrait bien être le suave Bernard de Ventadour (cf. éd. Mouzat, p. 548) ; cf. aussi supra, nº 9.
3. Enfin, la misogynie fondamentale, gratuite et féroce, comme elle apparaît dans le présent sirventés, où les « défauts » des femmes sont systématiquement passés en revue (déloyales, malignes et rusées, diaboliques, menteuses, infidèles, etc.) ; cf. aussi nº 11.
PILL.-CARST. : 332/1. Texte : AUDIAU.