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Bec, Pierre. Burlesque et obscénité chez les troubadours. Pour une approche du contre-texte médiéval. Paris: Stock, 1984.

027,002- Arnaut Catalan

 

V
 
L'hypertrophie du trobar

 

46
 
Rimes équivoques
 
Arnaut Catalan

 

Comme dans la plupart des pièces où le trobar est « hypertrophié », le contenu poétique de cette cansó ne présente que peu d'intérêt. Son but est tout autre. Il vise en effet à élaborer, sur une thématique rebattue une construction formelle en conformité avec certaines règles prosodiques, ici le jeu des rimes équivoques (rims equivòcs).

Ce procédé consiste à utiliser comme rimes des lexèmes absolument homophones mais ayant un sens différent. Voici d'ailleurs la définition qu'en donne les Leys d'Amor :

Equivocs es us meteish motz
Engals e d'accent e de votz
Que divers significatz pausa
Segons que par en esta pausa.

(La rime équivoque est un même mot, égal et d'accent de son, qui pose plusieurs significations comme cela apparaît dans ce qui est posé ci-après.)

Et voici l'exemple même donné par les Leys :

Trenta sols e plus còsta
Le rompementz de ma còsta
Que l'altre jorn presi, còsta
La forèst qu'es en la còsta (1).

En réalité, notre cansó applique (partiellement d'ailleurs) une variété des rimes équivoques : à savoir les rimes équivoques contrefaites (rims equivòcs contrafachz). Ce procédé, dont seront très friands les Grands Rhétoriqueurs, consiste à obtenir une homophonie parfaite en faisant rimer un lexème déterminé avec un groupe de mots homophones, comme dans ce quatrain des Leys :

Om que labor de re mena
Me par fols si non remena
Lo blat que leumen semena
Car ab aquel gent se mena (2).

Entrent dans ce procédé les rimes: chantèra / chant èra (vers 3-4), chantar ai / chantarai (vers 5-6), a mans / amans (vers 25-26). Mais la majorité des rimes de la pièce repose sur l'homophonie du simple et du composé (chantatz / enchantatz ; chantès / deschantès ; desamor / amor ; plazer / desplazer). A telle enseigne que la cansó tout entière est construite, dans le cadre d'une dialectique très simple, sur le jeu antithétique de quelques-uns des termes clefs du trobar (chantar / deschantar, amar / desamar, plazer / desplazer, etc.) (3).

(Pour Arnaut Catalan, cf. nos 32 et 33.)

 

PILL.-CARST. : 27/2. Texte : KOLSEN.

 

 

Notes :

1. Le mot-rime còsta est donc pris quatre fois dans un sens différent: « coûte », « côte » (os), « près de » (préposition), « côte » (montée).

2. Cf. éd. GONFROY : nos 163 et 164.

3. Voici le début d'une « Epistre en équivoques » du dernier des Grands Rhétoriqueurs, Jean BOUCHET (1476-1557) :

... Et quand venoit à mon repos de lict,
Mon sens venoit présenter ce delict
A la raison qui fort y repugnoit.
Mais le Vouloir, comme, mal repu, n'oyt
Les grans dangiers par Raison alléguez,
Ains les plaisirs que Vénus a leguez
Pour ung brief temps aux amans, il accepte
Et si choisit de Cupido la secte...
(Cf. ZUMTHOR : Anthologie, p. 250.)

 

 

 

 

 

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