DATE DE LA PIÈCE : 1241 ou 1242.
La datation de cette pièce est d’autant plus difficile que les seuls éléments historiques qui s’y trouvent sont deux noms, Gauseranda (v. 11) et Guiraut Amics (v. 17). Gauseranda nous est toujours aussi inconnue qu’à l’époque où Coulet a publié son édition de Guilhem. Il n’est même pas sûr qu’elle soit du “castel de Lunel” (cf. la vida, p. 9). Le deuxième nom, cependant, celui de Guiraut Amics, jette quelque lumière sur la date de la composition de la pièce et sur les rapports de Guilhem avec Lunel et son seigneur (cf. la note au v. 17 et aussi la note de Coulet à I, 17, pp. 67, 68). La famille des Amics est très liée avec la maison de Lunel, mais en même temps il paraît très clairement qu’elle tient depuis longtemps par titre héréditaire la position de connétable des comtes de Toulouse ( Hist. Lang., VII, 128). Le seigneur de Lunel possédait des terres qui s’étendaient jusqu’en Provence, mais il était vassal du comte de Toulouse pour le château de Calvisson. Coulet a suggéré, avec raison, que les Gaucelm durent servir souvent comme intermédiaires entre leur suzerain, le comte de Toulouse, et le comte de Provence. Vu les rapports entre la famille des Amics et la maison de Lunel, il est possible que Guilhem les ait connus à l’époque des entrevues suivantes. Raimond Gaucelm V, seigneur de Lunel, assista à l’entrevue de Montpellier, où, dans un traité du 5 juin 1241, Raimond VII répudie Sancie d’Aragon, sa femme, afin de pouvoir épouser Sancie, fille du comte de Provence ( Hist. Lang., VI, 729). C’est d’accord avec le roi d’Aragon qu’ils traitent du divorce de Raimond. Ensuite, Raimond Gaucelm V assiste aux négociations de mariage entre Raimond et Sancie de Provence. Sordel accompagna le comte de Provence. Il est probable que Guilhem, qui accompagnait sans doute Raimond VII, composa à cette occasion son partimen avec Sordel. Quoique l’on ne puisse en être sûr, il est possible de le dater des années 1241, 1242 (cf. la note sur la date de la pièce III).
Il y a tout lieu de croire que la pièce II, adressée à Guiraut Amics, date aussi de cette période. Comme l’a remarqué Coulet (p. 25), “les rapports avec Lunel semblent être particulièrement forts.” Précisons que Raimond VII rencontra Jacques d’Aragon à Lunel, où ils négocièrent un traité daté du 18 avril 1241 ( Hist. Lang., VI, 726). Ils se rendirent tout de suite après à Montpellier pour conférer avec Raimond-Bérenger de Provence. Il faut noter, d’ailleurs, que l’un des témoins de cette sentence arbitraire concernant le divorce de Raimond VII était Bertran d’Alamanon. Dans une de ses poésies, il fait mention d’une “silh de Lunel” qui, selon Bergert, est certainement la même que celle que Guilhem a chantée (cf. Die von den Trobadors genannten oder gefeierten Damen (Halle, 1913), p. 52). Il est vraisemblable, d’après les voyages de Raimond et aussi ceux de Guilhem, sans doute, que cette pièce a été composée à l’époque de l’entrevue de Lunel ou peu de temps après, donc vers 1241, 1242.
NOTES.
6. Il est préférable de garder la leçon de T — tolsa, qui est, d’ailleurs, à la base de la forme donnée par F — tolsans. Cf. l’exemple donné par Levy (SW, VIII, 264 Tolzan 2) “Gebiet von Toulouse”) :
En Tolsa·l tenon per prejur
Tuit cilh ab cui s’era plevitz. B. de Born 12, 25.
7. Il vaut mieux garder la leçon de F pour désigner l’imparfait (cf. Altprov. Elem., p. 92).
11. Gauseranda. Ce nom se trouve dans la biographie de Guilhem, mais ce document ne nous apprend rien de cette dame. Pas plus que Coulet, je n’ai pu trouver d’allusion historique à Gauseranda. Coulet dit qu’étant “del castel de Lunel,” elle pouvait très bien être simplement de Lunel (pp. 66, 67). Quoique les preuves manquent, il est vraisemblable de voir la même personne dans la “silh de Lunel” de Bertran d’Alamanon (dans l’édition de Salverda de Grave, p. 95), dans la dame de Lunel dont parle Blacasset dans son poème, “Si lo mal d’amor m’auci ni m’es nozens,” dans la pièce de Guilhem et dans la réponse de Blacasset (cf. App. I, 10 et aussi, Bergert, p. 52 et Jeanroy, La Poésie lyrique..., I, 181, 182).
Sur la signification que veut donner Guilhem à ce nom (v. 11), il semble inutile de donner libre cours à l’imagination. Le troubadour, en faisant des tours d’esprit au sujet de sa dame, a voulu décomposer ce nom, tout à fait librement, en effet, en gai plus seran, où la phrase signifie plus ou moins, ‘ils seront gais’. Blacasset, en renchérissant sur l’art de Guilhem, a écrit précisément (selon le ms. F) “gau e seranda.” Appel (Zeitschr., XXIII, 557) a voulu résoudre le problème, que Blacasset aurait posé en écrivant gau au lieu de gai, en remplaçant gau par un synonyme gaug ; mais il n’explique pas la présence d’un g additionnel. Il y ajoute sors, qui n’a rien à voir avec la forme du nom, étant simplement une épithète décrivant “cill qui veiran sos gais captenemens” (v. 12) et résout la difficulté phonétique qu’il y aurait à placer sors dans Gauseranda au moyen d’une substitution qui dépend de la signification (“Muss man offenbar vom Sinn [sc. de sors] ausgehen, um sich Guilhems Gedanken zu erklären. Man wird für das vom Reim veranlasste sors, ‘erhoben’ ein synonymes Wort einsetzen müssen, und da bietet sich als erstes : aut”). Mais on sent que la tradition manuscrite n’a pas donné une transcription exacte du texte original. Quoi de plus naturel que de substituer gau à gai ? Il est évidemment impossible de dire avec certitude si gai avait été écrit à l’origine.
sors. Comme l’a affirmé Appel (Zeitschr., XXIII, 557), “zweifellos richtig liest Coulet statt gai seran escos : gai seran e sors, wie die Antwort Blacassets beweist.” En effet, Blacasset a bien écrit au v. 10 de sa réponse :
qe gau e seranda ni gai ni sors
no se enten, Guillem...
Coulet, sans l’avoir prouvé, aurait donc parfaitement raison. Voici encore un exemple du mot employé dans le sens que signale Coulet (p. 66) ; cf. Levy (SW, VII, 831) :
Mas cil del pais
Son gen vertadier
De sa captenenza
Qe so q’il fa be
L’es grazit e sors.
Guilh. de Cabestanh 8.42 (AdM, 26, 190).
17. Guirautz Amics. L’identification proposée par Coulet semble très juste (cf. pp. 67, 68). Ce personnage avait, à l’époque du poème, la charge de connétable des Comtes de Toulouse (cf. Hist. Lang., VI, 274 et VII, 128 et les remarques faites plus haut sur la date de cette pièce). On pourrait penser à l’interprétation, “Guirautz, amics,” mais on constate d’abord que Guilhem s’adresse à un personnage d’une importance relative. La présence de la famille des Amics à cette époque à Lunel confirme cette interprétation. Cf. aussi, la note de Coulet à ce vers (p. 67).
li savi de Proensa. Guilhem, ayant fourni son interprétation du nom de Gauseranda, demande aux gens instruits de la Provence d’en trouver une meilleure. La réponse de Blacasset (cf. App. I) a été composée à cette fin et défend une interprétation différente de celle de Guilhem.
18. diga·m. Il n’y a nul besoin de changer la leçon de F. Le subjonctif est régulièrement en -a, -an, à la troisième personne du pluriel, comme -en et -on. Cf. digan (espagnol) et Altprov. Elem., p. 102. |