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Mouzat, Jean. Les poèmes de Gaucelm Faidit. Troubadour du XIIe Siècle. Paris: A. G. Nizet, 1965

167,063- Gaucelm Faidit

NOTES

Avec ces « coblas », que nous traduisons forcément par « couplets », nous trouvons une forme particulière, et d’ailleurs isolée chez Gaucelm, autant que rare chez ses confrères. Elle paraît différente de la « cobla » (au singulier) qui est presque toujours consacrée à l’invective ou à la satire, alors que ces couplets respirent une parfaite courtoisie.

L’expression et le ton, comme la métrique d’allure archaïque, nous paraissent assez gauches.

La mention d’un lion plein d’humilité ou de douceur après qu’il fut sorti des lacs, ou rets, est une intéressante allusion à la fable du lion et du rat. Elle est à rapprocher de la comparaison avec Golfier de Lastours et son lion — ce chevalier limousin de la 1re Croisade à qui la légende attribuait les aventures du Chevalier au Lion — que Gaucelm ulilise dans Chant e deport (N. 53, (15), 49).

Les « couplets », d’après le ms, sout adressés à mon Dezirier. Il convient de signaler d’abord qu’il ne peut y avoir aucun doute : La tornada, d’ailleurs bien rattachée par le sens au reste de la pièce, d’une remarquable unité, s’adresse à une dame. Il est incontestable que le Désir du poète est bien une femme.

S’il pouvait être avéré que la forme originale est bien Dezirier, à côte du Bel Dezir de Razon e mandamen, nous penserions avec Kolsen et même Robert Meyer, que ces deux formes du même thème, Dezir, s’adressent à la même personne et la désignent, comme un double senhal, eu quelque sorte. Les deux pièces, saus originalité particulière, ont un certain air de famille et pourraient bien être des poèmes de jeunesse. Elles présentent toutes deux le thème de l’hommage féodal transporté dans le domaine de l’amour courtois, dont Gaucelm fait si volontiers usage. Elles ont été manifestement inspirées par la même dame.

D’ailleurs, Dezirier n’est attesté que par le seul ms. E, qui n’est pas toujours sans erreurs, alors que Bel Dezir est confirmé par cinq mss. (cf Razon e mandamen, str. VI). Il est, aussi troublant de constater que la syllabe finale ier de Dezirier est isolée dans ce poème-ci, et ne rime avec aucune autre, ni ne rappelle aucune autre rime. Par contre, l’émendation Bel Dezir, empruntée à Razon e m., fait retrouver la rime ir des vers 8 & 9, 15 & 16. C’est pour ces raisons que nous l’avons faite entrer dans notre texte.

Nous considérons donc qu’il y a chez Gaucelm un senhal unique, Dezir, qui présente deux versions, Bel Dezir et Dezirier. Il a été l’objet d’élucidations, ou plutôt d’explications, aussi nombreuses que peu convaincantes.

Avec aisance, mais légèreté, Robert Meyer admet (1) d’après « la ressemblance de sens » que Mon Dezirier égale Bels Dezirs (et pour cela nous sommes d’accord), puis ensuite que celui-ci égale Bos (BelsEspers, et enfin que selon la Razo du ms P (ou Razo E) (2Bel Espers désigne Jordana d’Ebreun. Ainsi, d’après R. Meyer, Mon Dezirier serait Jordana. Rappelons que celle-ci paraît bien avoir été une invention des auteurs des Razos, et qu’on ne peut lui trouver aucune consistance historique. Robert Meyer s’appuie aussi sur les protestations classiques et les lieux communs des divers poèmes de Gaucelm pour décider que Bels Espers ne peut être ni Maria de Ventadorn, ni Margarita d’Aubusson, l’autre dame hypothétique que les Razos prêtent à notre troubadour. Tout ceci n’est que hâtif, approximatif et erroné.

Kolsen, déclarant d’abord avec justesse qu’aucune dame du nom de Jordana ne se rencontre dans les poèmes de Gaucelm, admet que la dame chantée dans Trop malamen est Maria de Ventadorn, en s’appuyant sur la ressemblance du v. 14 et des v. 33–34 de Ab chantar me dei esbaudir (3). Il ne s’y trouve pourtant que des protestations sans originalité et des formules banales que Gaucelm, comme ses confrères, emploie pour n’importe quelle dame. Ce rapprochement n’a, lui non plus, rien de probant. Aussi la date de 1195–97, avancée par Kolsen pour Trop malamen, inspirée selon lui par Maria n’a aucune valeur.

D’autre part, Kolsen pense que Mon Dezirier désigne, non pas une dame, mais le troubadour Raimon Jordan de Sant Antoni. Cette expression serait, pour Gaucelm et Raimon, un senhal réciproque, « de la même manière que pour Belh Dezir dans 167,51 » (Razon e m.). Kolsen ajoute « D’après Stronski, Gaucelm et Raimon s’appelaient bien l’un l’autre mon Dezir (Bel Dezir). Le poète (G. F.) fait même dans la tornada confidence à son ami Dezirier de sa peine d’amour ». Pour accepter ceci, il faudrait admettre que li au v. 29 est une forme masculine accentuée. Cette interprétation nous paraît bien compliquée et hasardée. Kolsen nous semble avoir mal compris le raisonnement de Stronski, d’ailleurs subtil et peu convaincant, puisque Hilding Kjellman, l’éditeur de Raimon Jordan, n’y croit pas (4). Stronski, d’ailleurs, déclare en effet que Dezirier désigne la même dame pour Gaucelm et pour Raimon Jordan ; et que, d’autre part, le senhal réciproque des deux troubadours serait Dezir. Toujours selon Stronski, chez Gaucelm on le trouverait dans le Bels Dezirs de Razon e m. (5) ; chez Raimon Jordan, dans la tornada de Ben es camjatz mos pensamens (6).

D’après les vers en question, il semble bien que par mon Dezir Raimon Jordan s’adresse à un ami ou un confrère. Par contre, ceci n’est nullement le cas chez Gaucelm, et nous sommes persuadés que le Dézir de Gaucelm est, sans conteste possible, une dame.

De toute façon, ni Razon e mandamen, ni Trop malamen m’anet un tems d’Amor ne permettent de préciser ni même de supposer avec quelque vraisemblance quelle fut la dame désignée, et dissimulée, par le senhal Bel Dezir. Tout ce qu’on peut dire, c’est qu’elle paraît être, d’après le volume et la déférence des louanges et des prières de Gaucelm, une grande dame. On peut après tout penser à Elis de Montfort, sœur de Maria de Ventadorn, appelée par son prénom dans la tornada, version a, du chant de croisade Ara nos sia guitz. Mais reconnaissons qu’il s’agit ici d’un supposition toute gratuite et qu’aucun indice ne peut étayer.

On doit enfin signaler que le senhal mon Dezir se trouve également dans la tornada de Ab leyal cor et ab humil talan que ses deux Mss. attribuent à Cadenet, mais que l’éditeur de ce troubadour, C. Appel, croit apocryphe, et que d’autre part Stronski (7) estime être de Gaucelm Faidit. Le thème de la chanso paraît bien gaucelmien, mais la diction un peu lâche et le vocabulaire riehe ne semblent pas être de lui ; cependant ce mon Dezir est troublant, et ici aussi on peut admettre que l’envoi s’adresse à un ami tout aussi bien, et peut être mieux qu’à une dame (8).

Des relations d’amitié ou de commerce poétique entre Gaucelm et Raimon Jordan ont été possibles, car Raimon a connu et chanté les trois sœurs de Turenne, qu’il appelle Las tres melhors (9), et il a chanté Elis de Montfort, sœur de Maria, qu’il nomme Bon Esper. Raimon « né en 1150 ou peu après » était du même âge que Gaucelm Faidit. Les deux troubadours ont donc fréquente les mêmes châteaux et chante les mêmes dames. Il faut même remarquer que le senhal Mos Conortz se retrouve chez tous les deux et peut même désigner la même dame (10).

Ces faits, et les considérations ci-dessus, ne peuvent pourtant prouver que Dezir, ou ses variantes, a pu vraiment être un senhal réciproque pour Gaucelm et Raimon Jordan. Mais des relations entre eux sont à peu près certaines, et leur amitié serait plausible.

 

CORRECTIONS APPORTÉES AU MS.

I. 3 Ms : ni anc no p., 1 syll. de trop — 4 beutatz — 7 2 syll. manquent : si nom socor per l.m. 

II. 15 et ieu li mautrei, 1 syll. de trop — 18 leo.

III. 19 : Mas mas — 20 plazen — 21 es ; auinen : le sens exige le cas sujet — 22 aias ; aues — 24 pitansa ; 25 amistansa : rime masculine nécessaire — 27 camiar lo talen, 1 syll. manque.

IV. 28 anas ; 29 digas — 28 B. D.) Dezirier — 30 ma pluriel nécessaire.

 

REMARQUES SUR LE TEXTE ET LES CORRECTIONS DE KOLSEN

I. 3 K. donne : ni (ancno p. — 7 K. midons ; nous pensons que midons ne convient guère ici, car le poète n’a pas parlé encore de sa dame. — 9 K. corrige assir en aussiraucir. Le sens ne nous paraît pas exiger cette modification. — 10 K. lit ou corrige bellamen. Ce changement nous paraît inutile et erroné, le Ms bela ren donnant un sens parfaitement satisfaisant. — 13 talen se trouvant aussi au v. 27, K. le remplace ici par enten ; l’inverse nous semble préférable — 15 K. corrige en ieu-lh — 18 K. corrige leo en leu (cas sujet) que nous adoptons, car avec leos, forme pourtant attestée chez Rigaut de Berbezille (Atreissi cum lo leos) le vers aurait une syll. de trop. — 19 Nous modifions Mas mas en Las mas pour l’euphonie ; nous avons ici sans doute une négligence du copiste. — 20 & 21, 24 & 25 : Les corrections de ces rimes ont été judicieusement proposées par Kolsen, et nous les adoptons. — 27 voir 13 — 28 Bel Dezir, donné par la tornada de Razon e mandamen, N. 7, nous paraît préférable, car avec lui la rime, isolée avec Dezirier, est le rappel des rimes en -ir des str. I et II.

 

 

1) R. Meyer, Leben G. Faidit, p. 51 : « Vu la ressemblance de sens on peut supposer qu’il (Dezirier) désigne la même dame que Bos (Bels) Espers dans les canzones Mout m’enoget… et Solatz e ch., c’est à dire Jordana, car à la fin de la biographie III, c’est Jordana qui est désignée par Bels Espers ». ()

2) Ms P 39 r etc. Bautière-Schulz, p. 125, 63–4. ()

3) Kolsen, Trop malamen, Arch. Rom., p. 107. Cf. Archiv, 145, 274, 3. Tr. m. ; v. 14 : que Dieus mi fes per far son mandamen ; Ab ch., 33–4 : qu’ieu sui faitz al vostre servir/et al vostre comandamen. ()

4) Hildiog Kjellman, Le troubadour Raimon Jordan, vicomte de Saint Antonin, Edition Critique, Upsala-Paris 1922 ; pp. 22–25, 30, 133. ()

5) Stanislas Stronski, AdM., 25, pp. 289 etc. Les pseudonumes réciproques, p. 295. Cf. Razon e mandamen, tornada, v. 76. Voir N. 7. ()

6Ben es camjatz… 404, 2 :
                       A ma dompna fai ma razon entendre,
                       chansoneta, e puois vai, e non len,
                       a mon Dezir, que pens de mon Conort,
                       tot enaissi cum sap qe-l taing a far,
                       e-ls compaignos sapchas mi saludar. 
()

7) Dans l’article cité plus haut (AdM. 25), p. 289 etc. ()  

8Tornada, 43–45, de Ab leyal cor et ab humil talan, cf Attribution incertaine, XII. : A mon Dezir t’en vai chanson, breumen / e di-l, si-l play, que per son chauzimen / li sapcha bo qe hieu l’am d’agradatge. ()

9) Op. cit., (Le tr. Raimon Jordan), poème n. X, v. 28. ()

10) Op. cit., (Le tr. Raimon Jordan), Lo clar temps vel brunezir, v. 46. ()

 

 

 

 

 

 

 

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