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Gouiran, Gérard. L'amour et la guerre. L'œuvre de Bertran de Born. Aix-en-Provence: Université de Provence, 1985.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2012.

080,035- Bertran de Born

v. 8.
Bertran de Born venant de se réconcilier avec son suzerain, Richard, comte de Poitou, il ne résiste pas au plaisir de lui faire savoir quel est l’allié dont l’aide lui a permis d’enlever Hautefort.
 
vv. 9-11.
On rencontre le même procédé chez Guillem de Berguedà (éd. Riquer, nº XI, strophe I) : après avoir annoncé : Talans m’es pres d’En Marques, No per anta ni per mal, Mas per desir natural Que m’en ven e per coratge Qu’eu chan... le poète se livre à une très brutale attaque.
 
v. 18 : us ... de sos vassaus
“Este vasallo de Alfonso II es, evidentemente, Guillem de Berguedà” (M. de Riquer, Los Trovadores t. II, p. 719).
 
v. 19.
Seuls DIK indiquent le pluriel mals laus : Levy (Archiv 143 1922, p. 96) pense qu’on doit écrire mal laus avec un cas régime singulier indéclinable laus, qu’il appuie d’exemples comme avol laus et bon laus. Kastner (M. L. R. nº 34, 1937) et Martín de Riquer (L. C.) le suivent. Ainsi, Peire Lunel de Monteg écrit : y ashi ton laus perdrias, per que ieu no t’o laus (Testi didattico-cortesi di Provenza, éd. Sansone, texte V, vv. 351-2).
On ne sait à quoi les vers 19-24 font allusion. M. de Riquer (Ibid.) indique qu’en janvier 1175 Alphonse II donna à Espaniol de Prades la tour d’Albozalag, près d’Asco, et qu’en 1180 Espanyol de Castellot reconnut sa suzeraineté sur le château de Castellot, aujourd’hui appelé La Torre de l’Espanyol près de l’Èbre.
 
v. 22.
AD : vas lui si el nausa proar, C : veselh sil auza proar, F : vas el si lo nausa proar, IK : ves el siel nauza proar, R : ves el sil len auza proar, T : deren sil nauçi apellar, V : de ren sil naus apelar. Les éditeurs ont tous choisi la version de F.
Levy (Archiv, L. C.) n’admet pas l’interprétation que Stimming 1 donne de proar (“convaincre”) et propose de traduire ce verbe par “mettre à l’épreuve” et de comprendre ainsi le passage : “Je ne crois pas qu’Alphonse puisse se défendre devant Espagnol si celui-ci avait le courage de le mettre à l’épreuve là-dessus ; dans le cas où celui-ci oserait l’éprouver en déposant une plainte, il ne viendrait pas devant le tribunal.” Kastner pense que la leçon originelle devait être : s’el lo n’aus’aproar ou s’il n’ausa aproar, avec le verbe aproar, et suit Levy pour le sens. Il propose en outre d’adopter le vas lui de AD pour éviter une succession de sonorités peu agréable. On rencontre une construction du même type chez Giraut de Bornelh (éd. Kolsen, nº 42, vv. 79-82) : Mas eu·m sui be gardatz C’anc no·n fui encolpatz C’oi non es vius ni natz Per qu’eu en fos proatz.
 
v. 24.
Levy (Ibid.) à qui les vers 24-25 ne paraissent pas très clairs, propose de donner à quan le sens de “puisque” et de voir en lai l’adverbe lag, “laidement”, comme l’ont d’ailleurs compris les copistes de CV (lag) et F (laig). Kastner préfère donner à quan et lai un sens temporel. La solution de Levy me paraît conduire à un meilleur sens : la question n’est pas que le roi n’ait réalisé que peu de profit dans cette affaire, mais bien qu’il se soit déshonoré pour un maigre bénéfice.
 
v. 27.
Il s’agit de Gaston VI, vicomte de Béarn (1173-1215). Sa mère, la vicomtesse Marie de Béarn, avait prêté hommage au roi d’Aragon en 1170 et Gaston en fit autant en 1196. Sa présence parmi les conjurés de Ges no mi desconort, opposés à Henri II, l’allié de toujours d’Alphonse, laisse penser que les relations entre Gaston et son suzerain n’ont pas toujours été sereines. Il est au demeurant possible que Bertran utilise le procédé que M. de Riquer décrit chez Guillem de Berguedà : “Diábolicamente recurre con frecuencia al expediente de dar nombres e apellido de las personas que finge que le informaron” (O. C. Guillem, t. I, p. 522).
 
v. 30.
ADIK : q(u)els idegra liurar, CR : qel(h) si degra liurar, F : qels degra deliurar, TV : qe (ce T) sai sos barons deliurar. Stimming 3, qui suit ADIK, explique que i est ici un équivalent de li (p. 174). Schultz-Gora (Deutsche Lit. Ztg. 1914, p. 2083) préfère le traduire par “là”. Levy (Ibid.) commente longuement ce passage et trouve douteuse la traduction que l’on obtient en assimilant i à li ; “car Alphonse a reçu du roi d’Angleterre une rançon pour ses prisonniers afin qu’il les lui délivre.” Or, comme les chevaliers étaient Aragonais, c’est Alphonse qui avait, plus que Henri, intérêt à leur délivrance. Plutôt que d’adopter la version de CR, dont le sens serait “pour qu’il se les délivre”, Levy préfère conserver la leçon de ADIK en donnant à i le sens de “avec cela”, à côté d’autres hypothèses. Kastner (Ibid.) pense que Levy s’est laissé induire en erreur par la razon qui implique dans l’affaire le comte de Toulouse, ce que ne confirment ni la chanson ni l’histoire. Pour lui, il n’est question ici que de trois personnages : Gaston, Alphonse et Henri ; Gaston a capturé les chevaliers et devrait les rendre contre la rançon que Henri II a remise à Alphonse pour lui permettre de racheter ses hommes. Le sens général est donc : “Gaston... m’a fait raconter qu’Alphonse a reçu du roi une rançon pour ses prisonniers, afin que Gaston les rende à Alphonse, et celui-ci a préféré emporter l’argent.” Kastner pense que i équivaut à li, mais consent, en raison de l’objection de Schultz-Gora, à donner à i un sens locatif, le pronom adverbe représentant sans doute le Béarn, où devait s’effectuer la transaction. Remarquons que les copistes de TV ont bien compris qu’il s’agissait d’un adverbe de lieu, puisqu’ils ont écrit sai. Martín de Riquer évite de prendre parti en traduisant “el rescate de sus pri-sioneros, que debiera ponerlos en libertad” ou le i est escamoté.
 
vv. 35-38.
Levy (S. W. t. VII, p. 717 sobreprendre) reconnaît qu’il ne parvient pas à élucider ce passage qu’il commente longuement. Martín de Riquer a choisi, à la suite d’Appel, de placer un point-virgule après sobreprenda, donnant ainsi un sens ironique aux vers 35-37 : “Si alguna vez..., seria feo reprochárselo, pues con uno solo se supo resarcir”, mais on ne voit pas alors ce que devient le l’ de lait l’es. L’interprétation de Kastner me paraît plus satisfaisante : il fait dépendre que (v. 38) de sobreprenda, donne à en une valeur pléonastique annonçant la proposition conjonctive suivante et à sobreprendre le sens de “prendre sur le fait”. Le sens global est alors : “il est horrible de sa part qu’on puisse le prendre sur le fait à avoir su s’en rembourser confortablement etc.” Il me semble en effet qu’il y a une progression : Bertran annonce d’abord que les jongleurs qui ont chanté les louanges d’Alphonse n’y ont pas gagné. Or, le roi Alphonse avait la réputation de fort bien accueillir les jongleurs. Alors, Bertran, faisant mine de nuancer son propos avec la concession s’anc (cf. article dans le glossaire du Troubadour Elias de Barjols de Stroński), montre que, quoi qu’Alphonse ait pu donner aux jongleurs, il s’en est largement dédommagé aux dépens d’Artuset. Ainsi, je préfère donner à sobreprendre le sens bien attesté de “blâmer” (P. D. p. 347) ; je ne crois pas que la présence du verbe blasmar (v. 39) soit un argument qui contraigne à chercher un autre sens pour sobreprendre.
En ce qui concerne l’histoire d’Artuset, ou Artus, selon le nom que lui donne la cobla de Guillem de Berguedà que nous a conservée la razon, notre ignorance est totale.
 
v.40 : en
M. Lecoy (O. C. Romania nº 94, p. 275) fait remarquer que en fait difficulté. Les manuscrits lisent : q(u)’en (ADIK) q(u)e (CFT), que·l (V) et c’als J- lo mes (R). Je m’en tiens au manuscrit de base en donnant à en le sens de “pour cela”, c’est-à-dire “pour se rembourser”.
 
v. 41.
Une fois encore, on ignore qui est ce Peire Joglar. Joglar peut soit être son nom, soit son métier. L’indication donnée par Andresen (O. C. p. 36) qui nous apprend que Peire Joglar est nommé en 1186 dans le Cartulaire des Hospitaliers du Velay (cf. Chassaing, Paris 1888, p. 36) ne nous avance guère : il peut en effet fort bien s’agir d’une autre personne.
La vella que Fons-Ebraus atent est-elle bien Aliénor, comme l’ont pensé Thomas (p. 51), Stimming 3 (p. 174), Appel (Bertran von Born p. 46) ? Kastner fait remarquer que la première strophe du sirventés est adressée à Richard avec lequel Bertran se réconciliait : pareils compliments sur sa mère auraient été bien maladroits. Pour résoudre la difficulté, Kastner propose de voir en cette “vieille” Mathilde, la sœur du comte de Flandre, Philippe. Malheureusement, dans la période qui nous intéresse, l’abbesse de Fontevraud n’était pas Mathilde de Flandre, qui dirigea l’abbaye de 1189 à 1194, mais Gillette, abbesse de 1180 à 1189, qui avait été élue à l’âge de trente ans, et qu’il est donc bien difficile d’appeler vella (cf. colonel L. Picard, L’ordre de Fontevrault de 1115 à 1207). Or, le présent exige que ce soit une contemporaine. Le verbe du vers 44 pourrait nous aider, mais l’on trouve atent (DFIK), aten (AV) et ate (RT). Kastner propose de voir dans que l’équivalent du pronom au datif et de prendre atendre dans la construction atendre ad alcu, au sens de “faire attention à, obéir”, ce qui suppose qu’on parle de l’abbesse. Rita Lejeune écrit : “Quand elle ne fut plus, comme disait Bertran de Born, que ‘la vieille que Fontevrault attend” (“Rôle littéraire d’Aliénor d’Aquitaine et de sa famille”, Cultura Neolatina, 1954, XIV, 1, p. 13), choisissant ainsi le sens le plus usuel de atendre. Or, si l’on suit l’itinéraire d’Aliénor, à la fin de l’article de Mme Lejeune, on se rend compte que la reine n’est pas revenue à Fontevraud entre mai 1152 et 1194. D’autre part, après la rébellion de 1173, Henri II retint sa femme prisonnière jusqu’en 1189, avec de courtes périodes d’élargissement : quand aurait-elle donc pu faire mettre à mort Peire Joglar ?
Le seul point qui inciterait à reconnaître Aliénor dans la vella du vers 43 serait l’existence d’une relation privilégiée entre la reine et l’abbaye. L’épitaphe d’Aliénor (citée par le colonel Picard, Ibid. p. 277) ne dit-il pas : Quae eum esset in utriusque regni sublimitate constituta ab ipsis aetatis suae primordiis Ecclesiae Fontis Ebr. advocata nos, pariter ac parentes suos. Mais ces affirmations peut-être intéressées des gens de l’abbaye, ne doivent en aucun cas être tenues pour assurées. Pour le reste, tout demanderait qu’il s’agît d’une autre personne, mais laquelle ?
 
v. 49.
Il s’agit du chevalier navarrais Pedro Ruiz de Azagra, seigneur de la forteresse d’Albarracin que lui avait donnée en 1165 le souverain musulman de Murcie et Valence pour services éminents. Il fit partie, avec ses frères, de l’ambassade qu’Alphonse VIII envoya en 1170 à Bordeaux pour escorter en Espagne sa fiancée, Aliénor, fille d’Henri II. Martín de Riquer (Ibid.) pense qu’il a pu y rencontrer Bertran de Born et lui donner des informations sur Alphonse II, qui était son ennemi. C’est pour dépouiller ce Pedro Ruiz que les deux Alphonse signèrent un traité en 1172, mais ils ne purent y parvenir, faute de s’entendre sur le partage de ses biens (cf. Kastner, L. C.).
 
v. 50.
Stimming 1 corrige en qu’el fo joves rejaus (p. 198). Thomas écrit : “le nominatif est employé pour l’accusatif à cause de la rime & en vertu d’une syllepse facile à saisir.” Chabaneau (R. L. R. nº 31, p. 609) propose de corriger en venc, puis (R. L. R. nº 32, p. 204) en quel vil, que Kastner accepte. Martín de Riquer écrit : al prim que·l vi joves reiaus et traduit : “en cuanto lo vio siendo joven rey”, ce qui semble indiquer qu’il suit Thomas. Comme seul le ms. F écrit joves et que tous les autres ont le cas régime joven (CIK), gioven (T), je me demande si reiaus ne pourrait pas être un indéclinable comme laus (v. 19). On aurait alors un texte plus logique : Al prim que·l vi joven reiaus, qui éviterait la curieuse succession des sujets. Faute d’exemples, je dois corriger en joves et comprendre “la première fois qu’Alphonse le vit, alors qu’il était un jeune roi”, même si, comme le dit Kastner, on hésite à attribuer à Bertran une aussi laide construction.
 
v. 51 : maus
Le sens laudatif de “belliqueux, plein d’ardeur” attesté par le P. D. de Levy est confirmé par ce vers : N’Arnautz de Vilamur, car es mals e guerriers (Chanson de la Croisade, t. III, laisse 205, v. 6) où l’éditeur, E. Martin-Chabot traduit l’adjectif par “énergique”.
 
v. 55 : vaneiar
Raynouard traduit ce passage par “il semble qu’il le fasse pour se moquer”, Diez : “il semble avoir de l’ennui” et Levy (S. W. t. VIII, p. 585) propose les sens de “plaisanter, se moquer, badiner”. Le glossaire des Lieder d’Appel propose : “se comporter comme un homme sans volonté, un incapable”. Kastner fait remarquer qu’il s’agit ici de faiblesse, de nonchalance plutôt que de paresse (Stimming 3) ou de lâcheté (Thomas, Levy in P. D. p. 377). On trouve dans le Tresor de Mistral un verbe “vanega” (“aller et venir, circuler, s’agiter, faire de l’exercice”) et un verbe “vaneja” (“brandir, secouer, agiter ; se trémousser, branler, hocher”), ce qui ne fait qu’accroître l’indécision. Il me paraît plus intéressant de mettre ce verbe vaneiar en rapport avec l’adjectif van : “faible ; vain, léger d’esprit” (Levy, P. D. p. 377). C’est ainsi que Bertran demandait au seigneur de Thouars de ne pas se montrer vas (10. 30) et reprochait au même Alphonse d’être flacs e vans e sojornaditz (23. 18). De même, Talairan (chanson nº 16, strophe IV) était accusé d’être farsitz de nualha, ce qu’il manifestait en s’étirant et en bâillant, comme le roi d’Aragon. Le sens est donc à chercher du côté de l’inertie, la mollesse ou l’indolence.
 
v. 56 : entenda
FIK : entenda, CV : s’entenda, T : s’intenda. Je conserve la leçon du manuscrit de base, car Levy (P. D. p. 153) attribue le sens de “tourner sa pensée, ses désirs vers” à entendre en aussi bien qu’à s’entendre en.
 
v. 58 : Laraus
Les gens de Lara sont les hommes de Peire de Lara, fils de Manrique de Lara, un des plus puissants seigneurs de Castille et d’Ermessinde, sœur de la vicomtesse Ermengarde de Narbonne (cf. Deuxième partie. Chapitre I). En 1183, Ermengarde, son neveu et leurs hommes se joignirent aux Aragonais et aux Catalans d’Alphonse II, lorsqu’il apporta son aide à Henri II contre ses vassaux rebelles d’Aquitaine, aux côtés desquels se trouvait leur vieil ennemi Raimon V de Toulouse.
 
v. 62.
Pour afanar, Levy indique : “gagner en se donnant de la peine” (S. W. t. I, p. 25) et Thomas : “gagner avec peine (un salaire)”. Le mot existe encore : “afana soun pan” (Mistral, Tresor, “afana”) et on trouve dans L’ennemi de la Mort d’Eugène Le Roy (éd. Calmann-Lévy, p. 120), un compatriote de Bertran, “Tu n’affanes pas le pain que tu manges”.
 
v. 65.
L’envoi, très ironique, demande à Alphonse II de communiquer le sirventés, après l’avoir appris comme un jongleur (ce qui est peut-être une manière d’attaquer ses ambitions littéraires), à son ennemi Sancho de Navarre et au roi de Castille, Alphonse VIII.

 

 

 

 

 

 

 

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