v. 5 : sia. Il peut s’agir aussi bien de la 1º personne du singulier que de la 3º, mais “où que je sois” s’accorde mieux avec le contexte immédiat que “où qu’elle soit”.
v. 6 : pens. Le chansonnier porte : totz mos pessamens. Plutôt que de reprendre la correction sens, proposée par Appel et adoptée par Zenker, il semble logique d’introduire le mot pens, plus proche du manuscrit. En effet, si l’on comprend bien qu’un copiste ait remplacé le terme rare pens par son synonyme beaucoup plus usuel pessamens, on ne voit pas en quoi le mot sens aurait pu le gêner.
v. 8 : entendens. Levy, sous entenden, sens 6, S. W. III, 51b, cite Zorzi : Com al primer li sui fis entendenz, XIII, v. 16, pour montrer que ce mot, alors équivalent d’entendedor, peut signifier ‘Liebhaber, Bewerber’, soit ‘amoureux, soupirant’. On en trouve la confirmation dans ces vers de Giraut de Bornelh : Si la bela cui sui profers Me vol onrar D’aitan que·m denhe sofertar Qu’eu sia sos fis entendens, XII, vv. 9-12, éd. A. Kolsen, I, 58. Cf. Raynouard, L. r. V, 326a. À propos de ce terme, Kolsen note dans son glossaire : “Liebhaber (im 3. Studium)”. De fait, le donnejaire anonyme du chansonnier L définit ainsi la troisième étape du cursus amorum : e lo tersz es d’entendedor, Archiv XXXIV, 1863, 425b. Ce sens paraît préférable à celui de ‘verstehend’, sens 2 de Levy, loc. cit. : s’il est bien question des amours du poète tout au long de la pièce, nulle part n’intervient l’idée qu’elles lui conféreraient de l’intelligence.
v. 12 : cosselh ‘secours’. Sens attesté chez Peire Raimon de Tolosa : Tan esper son leial conseill, XII, v. 30, éd. A. Cavaliere, 82. Au glossaire, le mot est traduit par ‘aiuto, soccorso’, 156.
v. 18. On ne rencontre pour ainsi dire jamais si (sic latin) élidé en occitan médiéval et de plus, d’ordinaire, cet adverbe n’est pas séparé de la zone verbale par un élément tel qu’aver. Le s’ est donc très probablement la conjonction hypothétique se, qui s’élide usuellement devant une voyelle. Elle introduit la pensée développée dans les vers 18-20, qui “prépare, par une réserve importante, la fin d’une chanson commencée sur un ton allègre”. Pour une discussion plus complète, v. R. Arveiller, “Quelques remarques sur les poésies de Falquet de Romans”, dans les Mélanges J. Boutière, Liège 1971, 6-7.
v. 19 : lansa ‘éloigne, écarte’. V. Levy, S. W. IV, 320b, avec un exemple de cette signification chez Uc Brunenc et une discussion sur le mot dans notre texte. Peire de Valeria emploie ce verbe au même sens : Cui c’Amors don son voler, A mi tol benananza Em desloingn’ em lanza A pauc del tot mon saber, dans A. Jeanroy, Jongleurs et troubadours gascons des XIIº et XIIIº siècles, Paris 1923, 2.
v. 21 : amistat ni semblansa. Amistat signifie à la fois le sentiment et sa manifestation, sincère ou hypocrite. Ici, il s’agit sans doute d’un hendiadys, et le sens est ‘manifestation d’amitié’.
vv. 29-30. Naohiko Seto consacre au “motif du vent doux venu de là-bas et de l’haleine” la deuxième partie de son article, “Lecture sacrée et lecture profane. Essai d’interprétation de la poésie lyrique médiévale selon la topique du Cantique des Cantiques”, Études de Langue et Littérature Françaises nº XLII, 4-10, Société Japonaise de Langue et Littérature Françaises, Tokio 1983. Il cite une longue série d’exemples, à laquelle on peut encore ajouter ces vers de Peire Rogier : Mais am, quan cor de lai lo vens Que d’autra si pres si m’acuelh, dans R. Lavaud, Les Troubadours cantaliens, Aurillac 1910, VII, vv. 35-36, 460.
v. 41. Appel a lu uey, qu’il a corrigé en vay, Prov. Ined., 19. Zenker l’a suivi dans son édition de Falquet, 44. En fait, le ms. porte tiey, de lecture assurée. L’expression tener (sa) via ‘s’en aller, partir’ est d’un emploi fréquent ; v., sous via, Raynouard, L. r., Levy, S. W., Appel, Chrest., lexique. Elle peut se construire avec y ‘vers lui, vers elle’, comme chez Guilhem de Montanhagol : Al valen rey, que·s fa lauzar, D’Arago, chanso, te y ta via, texte identique dans Appel, Prov. Ined., 142 ; l’éd. J. Coulet, 105 ; Levy, S. W. VIII, 745b ; l’éd. P. T. Ricketts, 81. Dans ce texte, explique Coulet, “le pronom y, comme souvent en provençal, est construit par pléonasme avec al valen rey /.../ & il sert à désigner une personne”, op. cit., 108. Tey a pu être déformé en tiey par un copiste : c’est ce qui s’est justement produit dans le second des vers cités, où le ms. R, comme nous l’avons vérifié, présente tiey, 39 rº, au lieu de tey, leçon correcte de C retenue par les éditeurs.
v. 45. Le ms. porte lai on mos cors diria, soit un vers de six syllabes au lieu des sept nécessaires. Zenker, op. cit., 80, avait proposé de considérer lai comme dissyllabique, mais il ne fournit pas d’autre exemple de cette scansion. Peut-être faut-il lire ici un groupe i diria, ‘lui dirait’, probablement écrit idiria, où la présence à intervalles très rapprochés de trois i a pu faire supprimer l’un d’eux. Pour i (y) représentant un être animé, comme au vers 41, v. Appel, Chrest., 263b, et Levy, S. W. IV, 222a (avec renvoi à Diez et Meyer-Lübke).
v. 49. Dans le ms., la tornada commence par l’apostrophe suivante : comtessa francha e corteza, et il faudrait une rime en - ia. Mais le groupe des adjectifs francha et corteza, d’ailleurs souvent joints (4 ex. dans Levy, sous franc, S. W. III, 584b-586b ; chez Falquet même, Salut, v. 13), ne peut avoir remplacé, en principe, qu’un groupe qui lui ressemblait quelque peu. On pense à une rime cortezia. Le complément de qualité suivant un vocatif, de type ab pretz valen, Rigaut de Berbezilh, IX, v. 41, éd. A. Varvaro, 206, ab cors gen, Gaucelm Faidit, XXXVII, v. 79, éd. J. Mouzat, 308, etc., est très fréquent. Mais on trouve aussi, plus rarement, les tours Donzella de parage, Blandin de Cornouaille, v. 1018, éd. C. H. M. van der Horst, La Haye - Paris 1974, Reys de merce, Guilhem de Sant-Leidier, X, v. 31, éd. A. Sakari, 137, et dompnas ab beutatz, Cadenet, XXI, v. 36, éd. C. Appel, 50. On peut donc supposer avec vraisemblance Comtessa de cortezia, ou, puisque Falquet ne redoute pas l’hiatus (v. le vers 37 de notre pièce), comtessa ab cortezia. Nous préférons la seconde hypothèse et supposons, pour la préposition, la forme am, qui explique moins mal la leçon du manuscrit. On pourrait imaginer qu’un premier scribe, influencé par les deux adjectifs qui suivent immédiatement (v. 50), larga e pros, ait fait de cortezia, à la finale, sans rime dans la tornada, l’adjectif corteza. À ce moment, un autre scribe (l’auteur de C ?) a cherché à donner un sens à am (peut-être lu ane ou anc) corteza et, connaissant le couple fréquent franca e cortesa, a vu dans le premier mot une partie de franca e. Nous proposons donc la correction Comtessa am cortezia. |