v. 10 : valen. Il faut corriger c : auoillen en suivant les autres mss : aualen L, aualent GN.
v. 20. Il s’agit d’un cliché de la poésie amoureuse. Cf. Raimon de Castelhnou, Er a ben dos ans passatz, v. 40, Per que suy sieus mielhs que mieus, Appel, Prov. Ined., 277 ; Arnaut de Maruelh, I, v. 54, Cen tans soi vostre mielh qe mieu, et IV, v. 148, Hai estat vostre meillz qe mieus, éd. cit., 76 et 125.
vv. 21-30. À propos de “la peinture des tribulations nocturnes du troubadour”, P. Bec relève deux thèmes distincts : “l’angoisse et l’insomnie d’une part, le sommeil et le rêve de l’autre, qui calment et consolent, permettant à l’amant de jouir en pensée de sa dame”, op. cit., 60. Il remarque qu’à la différence d’Arnaut de Maruelh, Falquet ne développe que le thème du songe érotique, ibid., 61. On trouvera une liste des caractères “que présente la confession d’amour” dans l’article de N. G. B. de Fernandez-Pereiro, “Le songe d’amour chez les troubadours portugais et provençaux”, Mélanges Ch. Rostaing, Liège 1974, I, 301-315.
v. 23. Ce vers a gêné les copistes : ar hai eu L, ar qeus N. G a écrit argues, puis rajouté au au-dessus du r ; c a écrit ar agues, puis rajouté eu au-dessus. Embarrassé par l’adverbe ar, Zenker propose de suivre L et de comprendre : ‘Madame, alors (à savoir : pendant que mon esprit est près de vous) je suis si heureux que ...’ ou, à la rigueur, d’accepter la leçon de c : ‘Madame, puissé-je être maintenant (= en m’éveillant) aussi heureux (sc. que je le suis en rêve) ! car ...’, éd. cit., 89-90. Appel tient pour la seconde solution et cite à l’appui le vers 176, Ar fos la veritaz provada, Literaturblatt XVII, 1896, 169. En fait ara (ar, er) ainsi placé en tête de proposition paraît bien marquer l’émotion plutôt que le temps et prendre la valeur d’une interjection, comme le fait or en ancien français dans la même position ; v. L. Foulet, Glossary of the first continuation /of Perceval/, Philadelphie 1955, 207. On peut en citer les exemples suivants : Er lhi do Dieus ostal e tal maiso, Girart de Roussillon, v. 7701, éd. R. Lavaud-R. Nelli, Les Troubadours, II, 380 ; Arnaut Vidal, Guilhem de La Barra, v . 2140, Aras fos ieu el dous repayre, ibid., II, 480, et v. 4314, Ara los vuelha Dieus gardar !, ibid., II, 510 ; Pistoleta, IX, v. 1, Ar agues eu mil marcs de fin argen, éd. E. Niestroy, Halle 1914, 60.
v. 31. Le vers hypométrique de c, Mas aissi com plaira sia, peut être corrigé par l’ajout de vos: G présente con vos, N com vos et L cõ·us.
v. 41. Il semble que le groupe le plus probable, c’ab mi G, sous la forme q’am mi, voire q’a mi, ait été mal compris par le copiste (ou le modèle) de N : il a lu q’ami et a vu dans le deuxième mot un substantif, qu’il a remplacé par amor, ce qui entraînait la modification de s’ataing en si plaing, car la disparition de la préposition rendait le vers incompréhensible. Le copiste de c a retrouvé l’indispensable préposition en transformant camor en camort, à lire c’a mort : il avait sans doute à l’esprit le v. 38. Il faut probablement corriger en suivant G.
v. 42. On connait bien la tournure faire que fols ; elle figure dans LN : pero fai qe (que N)fol qui (que N)no·s plaing. Le premier relatif a disparu dans G, qui, pour préserver l’octosyllabe, a développé no·s en no se. Le copiste de c va plus loin : il écrit sol et non s’en. La leçon de LN s’impose ; on a conservé, avec Zenker, la forme sans -s des mss.
v. 50. Au lieu d’un pronom relatif coordonné à de cui, on trouve un pronom personnel, vos. Ce tour latin est également attesté en ancien français (et en français classique), v. Ph. Ménard, Syntaxe de l’ancien français, Bordeaux 1913, 93, § 82.
v. 57. P. Bec note : “L’allusion au don, signe tangible de leur amour, que se font les amants courtois, est fréquente dans les saluts. Ce présent, généralement un anneau, devient le symbole de l’échange des cœurs”, op. cit., 162.
v. 58. Encore un cliché amoureux. Cf. Guiraut d’Espanha, Qui en pascor non chanta nom par gays, v. 36, Qu’ab sos nous huelhs mon cor del cors mi trays, Appel, Prov. Ined., 166. V. aussi supra II, v. 3.
vv. 71-72 : con c, cõ GL, cab N. Zenker fait remarquer que nous trouvons ici l’ellipse bien connue du relatif après des formules négatives du type ‘il n’y a personne, il n’y a rien’, mais il indique que, selon la règle, la proposition régie doit être elle aussi négative et qu’on est donc en présence d’un cas rare. Mussafia observe que la préposition con ‘avec’ est inusitée chez notre troubadour et propose donc de rechercher le relatif manquant dans le c’ab de N, qui serait devenu c’am avant d’être confondu avec com, puis con, Sitzungsberichte der Philosophisch-Historischen Classe der Kaiserlichen Akademie der Wissenschaften, Vienne, CXXXIV, 1895, 32. L’argument grammatical, encore renforcé par les habitudes stylistiques de Falquet, paraît excellent.
v. 76. Cette formule, peu ordinaire, a gêné les copistes : en tan qan hom vei lo soleil c, en tan com hom ve lo soleill L, en aitan con vai lo soleil N, est tan qan hom vei lo soleill G. Si l’on admet que en offre son sens locatif ordinaire, l’expression peut signifier ‘dans tout lieu où l’on voit le soleil’, c’est-à-dire ‘partout’. Ce sens n’est pas contredit par le vers de Pistoleta cité par Raynouard : “Non a par en tan quan lo mon te N’a pas de pareille en autant que (en tout ce que) le monde contient”, L. r. V, 300b.
v. 78. On pourrait garder le texte du ms. c, qe li autre·m, à condition d’y voir une césure épique, dans un vers coupé 3 + 5, comme est coupé le vers qui suit, entre beaucoup. Mais ce serait le seul exemple de ce schéma rythmique chez Falquet. En revanche, on a rencontré chez lui, en IX, v. 52, un cas d’élision pour li, sujet pluriel : l’emperador. On lit d’ailleurs dans N : l’autre semblan esser laig. Comme dans la chanson IX, certains copistes ont été gênés par cette élision peu habituelle. L a mal évité la difficulté en écrivant : li autre·m scembla ; on ne voit pas ce que représenterait cet autre au singulier. G présente quil autrẽsemblan esser laich. L’enclise de li étant courante après voyelle, on pourrait aussi corriger en : qe·il autre·m semblan esser laich, version qui ne présenterait, par rapport à la leçon transmise par c, que l’interversion de deux lettres.
v. 79 sqq. Ici commence un portrait aux éléments tout-à-fait traditionnels, stéréotypés. V. P. Bec, op. cit., 53, note 51 et surtout A. Colby, The Portrait in twelfth century French literature, Genève 1965, en particulier 23-72.
v. 80. Autre cliché, que l’on retrouve chez Granet, Fis pretz e vera beutatz, vv. 29-31, La car’ab plazen faisso/ Fresqua e vermelh’a razo,/ Blancha plus que neus sobre glatz, Appel, Prov. Ined., 113. Cf. en langue d’oïl : Tu es plus blanche que cristal,/ Que neif que chiet sor glace en val, Jeu d’Adam, vv. 229-230, in Colby, op. cit., 54.
v. 81 : ben assis ‘bien planté’. En langue d’oïl, courant pour le nez et les dents, v. Colby, op. cit., 49 et 51.
v. 84. Il fait difficulté. Anc ... non se construit d’ordinaire avec un passé, mais sap peut-il être un parfait ? Comme 3º personne du parfait, Appel juge cette forme douteuse, Chrest. XXXIVb ; il renvoie à Girard de Roussillon, pièce I, v. 58 de son anthologie, et à Peire Cardenal, Una ciutatz fo, v. 23. R. Lavaud, savant éditeur de ce dernier, fait remarquer, à propos du vers de Girard : “on peut aussi bien y voir un présent” et chez son poète, où un parfait est nécessaire, il préfère saup, selon le ms. T ; il établit en effet son texte “par l’accord de deux groupes : à défaut, T paraît à préférer, cf. 8, 17, 59”, 531. Au v. 84 de notre texte, N présente volc, un parfait, ce qui supprime la difficulté, mais il est isolé ; volc peut être justement la correction d’un scribe gêné par sap, forme très commune de 3º personne au présent. Reste à examiner la possibilité d’un présent avec anc ... non. L’étude de K. Lewent sur cette locution adverbiale groupe trois exemples de la construction, deux avec un verbe à l’indicatif, voill far, posc trobar, un avec un verbe au conditionnel, poiria durar ; v. Romania LXXXII, 1961, 305. À propos du texte de Peire Vidal allégué par Lewent, posc trobar, nous n’ignorons pas que D’A. S. Avalle, se démarquant d’Anglade, édite Que, leçon du seul ms. D, en face de Qu’anc ABFMRcae, C’ainz X, II, 334 de son édition. Mais on doit, nous semble-t-il, préférer ici la lectio difficilior, bien mieux établie. On remarquera qu’il s’agit dans les trois citations de Lewent de semi-auxiliaires du sens de ‘pouvoir, vouloir’. Notre texte présente sap + infinitif, qui peut être traduit par ‘pouvoir’. Nous optons pour sap présent de l’indicatif.
v. 90. Nouveau cliché. Cf. Arnaut de Maruelh, I, vv. 91-92, blancas dens, Pus blancas qu’esmeratz argens, éd. P. Bec, 80, et Eneas, vv. 399-400, Menu serrees ot les denz, Plus reluisent que nus argenz, in Colby, op. cit., 50. etc. Pour l’élision de l’adverbe négatif, v. les exemples groupés par Appel, Chrest., glossaire, 278b, sous nō, non. Mis à part le texte de Girart de Roussillon, il signale ne (48, 20), n’ (48, 26) et deux exemples de no où la voyelle est élidée, comme le montre la scansion (60, 8, 27).
v. 95. Il faut corriger traiz c en traitiz GN (traititz L). L’erreur de c se comprend, puisque c’est la seule occurrence du mot en occitan médiéval, Levy, S. W. VIII, 368b. Il s’agit de l’emprunt d’un mot usuel d’ancien français, Godefroy VIII, 8ab, FEW XIII/2, 183a. A. Colby a montré de façon convaincante que traitis, dans les portraits médiévaux, ne signifie pas ‘long’, mais ‘bien fait’ (well-formed), op. cit., 29-30. L’origine de traitiz suggère un semblable emprunt pour la leçon de GN, voltiz, voutiz, au vers suivant. Sorcil voltis n’est pas rare en ancien français, Godefroy VIII, 301 a-c, sivoltitz ne se rencontre pas en ancien occitan, semble-t-il, comme épithète de cilh ‘sourcil’, Levy, S. W. VIII, 839b. En langue d’oïl, la rime traitis : voltis apparaît dans Partonopeus de Blois, vv. 557-558, in Colby, op. cit., 38, et l’on trouve dans le Roman de la Rose, vv. 1193-1194, Einçois ot nés lonc e tretiz, Buz vairs rianz, sorciz voutiz, éd. F. Lecoy, Paris 1966-1970, I, 37.
vv. 101-102. L’adjectif sor et la comparaison avec l’or sont aussi traditionnels. Cf. chanson anonyme, v. 14, E·l seu cabil sor cum aur, Appel, Chrest., 85b et Flamenca, vv. 3563-3564, Sos cabeillz, ques eron plus saur Ques una bella fuilla d’aur, éd. U. Gschwind, Berne 1976, I, 114. Pour la langue d’oïl, v. Colby, op. cit., 30-32, et en particulier l’exemple du Roman de Thèbes, vv. 3821-3822, Les cheveus ot lons et sors,/ Plus reluisanz que n’est fins ors.
v. 107 : lor Lc, lo GN. Levy ne relève que lo et lors. Toutefois on rencontre lor dans Girart de Roussillon, v. 386 (variante lo, ms. O), Appel, Chrest., 7a.
v. 110. Il faut corriger qal beutaz c, probablement dû à l’attraction de prez, en suivant N : qal beutat.
vv. 121-122. Il s’agit d’un thème obligé, comme le montre le long parallèle sur merce et razon qui figure chez Arnaut de Maruelh, IV, vv. 54-76, éd. P. Bec, 118-120. Falquet semble se conformer à une habitude en prêtant beaucoup à Salomon, car on ne trouve rien de tel dans le Livre des Proverbes. Dans le Breviari d’Amor, Matfre Ermengau prétend également, avec aussi peu de fondement, citer Salomon, vv. 18 589, 18 738, 18 823-24, in R. Lavaud-R. Nelli, Les Troubadours, II, 712, 720, 726. Cf. encore Marcabru, tenson, vv. 29-32, Catola, l’amors dont parlaz,/ Camia cubertament los datz ;/ Aprop lo bon lanz vos gardaz,/ Ço dis Salomons e Daviz, Appel, Chrest., 124b.
v. 127 : mais e plus. Les redondances étant continuelles dans toute la pièce, nous traduisons par ‘plus et davantage’ plutôt que par ‘de plus en plus’, qui s’accorderait d’ailleurs moins bien au vers suivant. Dans le même sens, Raynouard : ‘je vous aime davantage et plus’, L. r. IV, 123b.
v. 129. L’allusion au serf apparaît aussi chez Guilhem Uc d’Albi, Quant lo braus fregz yverns despuella, v. 15, Quon plus li suy sers e sosmes, Appel, Prov. Ined., 155.
v. 139. GNc : Aves qe (q’eu G) vos ; L : Envers que vos. Il est difficile de corriger avec Zenker en Envers vos soi tan francs e fis, alors qu’aucun des mss ne transmet ce tan. Il semble préférable de conserver la leçon majoritaire Aves qe vos soi, au sens de ‘vous avez à votre disposition ce fait que, vous tenez, vous possédez ce fait que’. Le troubadour met ainsi sa dame devant une vérité indéniable.
v. 152. Il faut corriger le o initial du vers de c en suivant GLN : e.
v. 161. Raccourci d’expression. Le poète ressentait autrefois ces maux, qui lui paraissent, depuis, des jeux.
v. 163. Pour l’apologue ou exemple, v. P.-Y. Badel, Introduction à la vie littéraire du Moyen Âge, Paris 1969, 59 et 201.
v. 164. Ce proverbe apparaît également chez Peire Cardenal, II, v. 5, éd. R. Lavaud, 10, et chez Arnaut de Maruelh, IV, v. 141, éd. P. Bec, 125 ; pour le correspondant de langue d’oïl, Teusse cuide chaufer qui s’art, v. É. Schulze-Busacker, Proverbes et expressions proverbiales dans la littérature narrative du Moyen Âge français, Paris 1985, 317.
v. 171. Zenker interprète justement : “insuffisamment, avec des mots dont un fou se contente, au lieu de me prouver votre amour par le fait”. On apaise le fou par de bonnes paroles, sans faire ce qu’il demande.
v. 175. Les mss présentent un prétérit : anc fos c, anc foss L, fost anc N, fos anc G. Le poète se place dans l’avenir envisagé par la dame (seria) et pense qu’elle a été, en fait, amoureuse de lui, ce qui transparaît dans le temps et le mode.
v. 177 : a qe = ab qe ‘quand bien même’. V. Appel, Prov. Ined., xxvi, et Mussafia, art. cit., 33. Pour ar, v. la note au v. 23.
vv. 192-194. Bertran Carbonel exprime la même idée, sans prétendre la tirer de la Bible, Aisi co am pus finamen, vv. 48-50, Que peccat mortal/ Fai gran, qui vol aussir de grat/ Son bon amic, cant li port’amistat, Appel, Prov. Ined., 59.
v. 205. c : maleugesez, L : maleugesses, N : maleuges, G : malegras. Le vers hypermétrique de c doit être corrigé ; en outre, on attend après prec un subjonctif présent, que l’on trouve dans N.
v. 216. Zenker comprend ‘la tête entre mes bras’, ce qui correspondrait, selon lui, à la position de celui qui prie avec la plus grande ferveur, la tête baissée entre les bras. Vos désigne évidemment ce que Falquet souhaite obtenir par sa prière. Comme aux vers 161-162, il s’agit d’un raccourci d’expression, mais le sens n’est pas douteux.
v. 219. Zenker renvoie à ce propos à l’aube d’Uc de La Baccalaria, Depus mon cor li donelis, str. II, Us Pater noster non dis,/ Ans qu’ieu disses :/ Qui es in Coelis,/ Fon a lieys mos esperitz, éd. cit., 91.
v. 226. Sur retener et en particulier sur l’expression retener baisan, v. l’article de G. M. Cropp, “L’apr. retener, son sens et son emploi dans la poésie des troubadours”, Mélanges Ch. Rostaing, Liège 1974, I, 179-200.
v. 227. Un amour sans réciprocité rend la vie pire que la mort : P. Bec, éd. cit., 158, signale ce thème chez Arnaut de Maruelh, II, v. 19 et IV, v. 117, chez Raimbaut d’Aurenga et chez Falquet.
v. 242. Ce thème est bien connu sous une forme folklorisante. On le trouve, par exemple, chez Jaufre Rudel, V, v. 48, éd. R. T. Pickens, Toronto 1978, 162, et chez Guilhem de Peitieus, IV, v. 11, éd. N. Pasero, Modène 1973, 92. Il prend ici une allure plus savante par l’allusion aux Parques. Celles-ci, toutefois, par leur intervention délibérée, ne sont pas sans rappeler les fées marraines de quelque Belle au Bois dormant. |