Notes - Anmerkungen - Notes - Notas - Notes - Note - Nòtas

Arveiller, Raymond; Gouiran, Gérard. L’œuvre poétique de Falquet de Romans, troubadour. Aix-en-Provence: C.U.E.R. M.A. - Université de Provence, 1987.

Édition revue et corrigée pour Corpus des Troubadours, 2013.

132,008- Falquet de Romans

v. 1. On lit camjat CERa, coman Rb, comgnhat a et Mai ai poinhat M. À propos de la leçon de CERa, Stroński note : “On serait tenté de croire qu’elle peut représenter quelque chose d’analogue à la construction ‘changer (intr.) de couleur, de style’ et avec un sens itératif, quelque chose comme ‘faire des chansons variées et à maintes reprises’ ; mais une pareille construction n’étant pas attestée, il n’y a pas lieu de tenir à la leçon de CER. – La leçon juste est comiat, qui ne signifie pas exclusivement ‘congé’, mais encore ‘permission’ (voy. R., II, 448, et L. S. W., I, 298). La signification congé doit avoir été plus générale, puisque l’autre, qui est celle de notre passage, ne se présente pas à l’esprit des auteurs de nos rédactions (ils peuvent, d’ailleurs, avoir été influencés dans une certaine mesure par le fait que le motif de se partir de chantar est très fréquent au début des chansons). Et comme l’idée de congé ne s’accordait point avec le reste de la strophe, on lui substitua coman (ordre), ou ponhat (ai) (‘tâcher’), qui donnent un sens satisfaisant mais non original, ou bien camiat (ai), qui doit n’avoir pas été compris par la rédaction x elle-même ; le comgnat du ms. A peut refléter la bonne leçon, si mgn représente mj dans un mot que la rédaction a n’a pas compris. Il faut ajouter que le motif littéraire consistant à parler de la permission (comjat) de la dame au début de la chanson se rencontre souvent : Non cuidei mais ses comiat far canso Mas ar m’aven malgrat mieu far parer Lo pensamen qe·l cor non pot caber Tant m’en a dat cella cui eu mi do ..., dit Daude de Pradas”, éd. cit., 105. Mais alors, est-on tenté d’objecter, si le motif de la permission n’est pas rare, pourquoi trois copistes ont-ils écrit camjat et aucun comjat, proposé comme bonne leçon ?
Éditeur de Gaucelm Faidit, J. Mouzat établit un texte encore plus composite que celui de Stroński. Les premiers vers deviennent : Pos comjat ay de far chanso De midons cuy am e dezir, A leys o deuri’om grazir S’ieu ja fatz bos motz ni gays so, op. cit., 590.
Dans la partie de son ouvrage où il analyse des textes programmatiques de troubadours, J. Gruber examine minutieusement ce passage (Die Dialektik des Trobar, Tübingen 1983, 15-18). Le mettant en rapport avec les vv. 7-8 et la str. III, il n’a pas de peine à montrer que le troubadour est bien loin d’éprouver de la joie, ce qui permet de rejeter le gays so tiré de Rb par Mouzat. Son interprétation s’appuie sur trois passages où coexistent les substantifs so au singulier et motz au pluriel : A mon vers dirai chanso Ab leus motz et ab leu so (Raimbaut d’Aurenga), De far chanso m’es pres talans Ab motz plazens et ab so guay (Peire Raimon de Tolosa), er ai cor que m’assai De far nous motz ab son guai (Gui d’Ussel).
J. Gruber va plus loin : s’autorisant des vers 21-22 : Mas tan que tornatz suy en via De chantar dont ieu me partia, il conclut que les deux premiers vers ne parlent pas d’une permission de composer une chanson, que le troubadour aurait obtenue de sa dame, mais du fait qu’il est revenu dans le chemin des chansons, dont il s’était éloigné, op. cit., 18. Dans ces conditions, c’est bien camjat qu’il faut lire, et le critique propose de traduire, en respectant intégralement le ms. C : ‘puisque j’ai changé (de résolution et décidé) de faire une chanson ...’.
Il nous semble que ce texte représente la véritable lectio difficilior et qu’il importe de le conserver tel quel, même si sa traduction demande quelques gloses.
 
v. 7. D’accord au v. 3 sur la leçon (h)om, MRba le sont ici sur la leçon joi (joy), différente de celle de C. De fait, c’est un usage courant, chez les poètes, de présenter leur joi comme l’origine et la garantie de leur talent poétique. L’emploi de ben, nom aux sens divers, ne contredit pas le fait que le troubadour est plongé dans la tristesse.
 
v. 8 : encaras. Le mot fait difficulté : ‘encore davantage’ ne conviendrait que s’il y avait déjà ‘beaucoup’ auparavant. Le sens de ‘déjà’ (Levy) paraît mieux s’accorder au contexte. On peut comprendre : ‘mais si ce peu de talent lui plaît, déjà, de ce seul fait, j’en aurai davantage’.
 
v. 10. Notre texte est celui de CRa et, pour autant que sa mutilation permette d’en juger, celui de E. On lit dans Rb : E autra no·m pot guerentir, dans Ma : Q’ (C’ a) autra no mi pot garentir. Stroński a édité, sans s’en expliquer : Qu’autr’e no·us no·m pot guerentir, ce qu’il faut sans doute interpréter : ‘car une autre qui ne serait pas vous ne saurait me sauver’, explication ingénieuse et texte suffisamment alambiqué pour que l’on comprenne qu’il ait été ainsi altéré. Il n’en reste pas moins que ce texte n’est transmis par aucun manuscrit. De son côté, Mouzat adopte la leçon de Ma et traduit : “car aucune autre ne me peut protéger”. Nous conservons la leçon du ms. de base que nous interprétons ainsi : le lien de vassalité amoureuse entre le poète et sa dame est si étroit que personne (ce qui explique le masc. autre, plus général) ne pourrait protéger le troubadour contre le pouvoir de sa suzeraine ; mais -us à lui seul peut-il signifier ‘contre vous’ ?
 
v. 14 : un ram. Nous avons opté, ici comme au v. 32 (tot lo mon), pour le maintien de la forme sans -s désinentiel, très majoritaire dans les mss. À propos de l’emploi du cas régime pour le “sujet réel” et le sujet postposé, v. XIII, note au v. 38.
Mouzat traduit un ram de feunia par ‘un peu de félonie’, op. cit., 594. Cependant Stroński avait procédé à une analyse très précise des emplois de ram et était parvenu à cette conclusion : “il est difficile d’admettre le sens ‘brin, parcelle’, soit dans ces expressions elles-mêmes, soit à leur base. Le sens originaire est plutôt ‘branche, sorte’, lequel, employé exclusivement dans des combinaisons péjoratives, aboutit, au moins en prov. et en ital., à un péjoratif absolu”, éd. cit., 107. Sous ram, le glossaire rend l’expression ram de feunia par ‘crime, honte’, 140a.
 
v. 21 : tan que. Dans son glossaire, Stroński indique : “conjonct. compos. : tan  que : compar., XIV, 21, suy tan que “je suis comme ...”, sous tan, 143b. Mouzat édite : mas, pois que tornatz suy en via, qui s’inspire de a : mais pois tornatz soi en la via, mais n’existe tel quel dans aucun ms., op. cit., 591. Gruber donne le texte de C et traduit tan que par ‘da’, qui peut marquer la simultanéité ou la cause, op. cit., 18.
 
vv. 27-28. Stroński indique sous finamen : “far languir f. alcu, XIV, 27, faire périr qu’un [sic] dans (par) l’amour pur”, glossaire, 128b, et sous sospeizo : “estar ne sospeiso, XIV, 28-29, être en disgrâce”, ibid., 143b. La traduction de Mouzat paraît beaucoup plus exacte : “si vous me faites languir de façon raffinée, j’aime mieux rester à vous espérer que jouir d’une autre”, op. cit., 594.
 
v. 30. Devant poiria (poyria), C présente nom, Ra porte no, EMRb non ; a indique : nom cami non plairia. Mouzat édite : car non poiria ..., op. cit., 591, et traduit : “car je ne pourrais étreindre dans la joie et la jouissance ...”, ibid., 594. Mais si l’on conserve la leçon du ms. de base, on peut voir dans poiria une 3º personne du singulier, dont le sujet serait autra dompna. Dès lors la difficulté vient de la forme tot lo mon attestée par les mss à la seule exception de a (totz l’autre monz), mais comme ce sujet est postposé, on peut admettre qu’il n’a pas reçu le -s désinentiel. V. XIII, note au v. 38.
 
v. 32 : de vos en lai. Mouzat traduit “loin de vous” ; Stroński indique “en dehors de vous”et renvoie à Levy, S. W., IV, 301, nº 5.
 
v . 33 : be, CRb. On serait tenté de dire que le copiste de C a évité la lectio difficilior de ERa, at, que d’autres copistes n’ont pas comprise : enantz (M) et surtout dan (a). Mais il rencontre ici le copiste de Rb. Pour une analyse de la notion d’at, v. Stroński, éd. cit., 107-108.
 
VI-VII . Stroński a littéralement refaçonné les envois pour parvenir à un texte que ne transmet aucun manuscrit :
En vostra bona merce sia
/e totz mos sens e ma paria/
qu’ieu no·m recre, dona, ni·m recreyrai
de vos amar ni nulh poder no·n ai .
 
Chanzos, vai t’en e ten ta via,
a la bella·m di senz bauzia
qu’autra dompna no voil ni qier ni ai
ni vos non ai ni sai si ia·us aurai.
 
Pour notre part, nous nous en tenons au ms. C, avec toutefois une correction : les copistes ont fait du v. 42 un octosyllabe, alors que la rime en -ai, selon la règle de composition des tornadas, exige un décasyllabe. Le texte n’est d’ailleurs pas difficile à rétablir : en effet, alors que ERaRb ont écrit : qu’ieu no·m recre ni·m recreirai (-yray RaRb), C a supprimé les préverbes, pourtant tout-à-fait nécessaires au sens : qu’ieu no·m cre no·m creirai.
Comme on peut le voir dans le texte de Stroński, les vers 44-45 de a ne manquent pas d’intérêt, mais il semble un peu abusif d’écrire, comme le fait le savant polonais : “la tornada a est visiblement préférable”, 108, d’autant qu’il n’hésite pas à en corriger le dernier vers.
 
v. 45 : paria. Le sens de ce mot est loin d’être évident. Explication possible, d’après la fin du poème : le poète ne sait s’il possédera jamais sa dame. Du moins peut-il lui offrir sa société, qu’elle ne peut guère lui refuser.

 

 

 

 

 

 

 

Institut d'Estudis Catalans. Carrer del Carme 47. 08001 Barcelona.
Telèfon +34 932 701 620. Fax +34 932 701 180. informacio@iec.cat - Informació legal

UAI