COMMENTAIRE HISTORIQUE
On a reconnu dans le comte du pays de Vérone (v. 31 et 32) Rizzardo di San Bonifacio, le beau-frère d’Ezzelino, et dans le marques des vers 17 et 28, le marquis d’Este, Azzo VII ( 1). D’après Witthoeft, la poésie ne peut pas être antérieure à 1239, parce que c’est seulement alors qu’Alberico se sépare d’Ezzelino et se rapproche des ennemis de celui-ci, les Guelfes. Mais il oublie qu’en 1233 une réconciliation éphémère eut lieu entre Azzo et les da Romano ( 2), à l’occasion de laquelle Azzo épousa la fille d’Alberico. Et puis, est-il bien nécessaire de supposer que, parce que Alberico et Azzo ont tous les deux fait bon accueil au jongleur, ils aient été d’accord en politique ? Uc lui même, malgré ses sentiments guelfes, n’a jamais été, que nous sachions, en désaccord avec Alberico ( 3). Voyez le commentaire de nº XX.
Aux vers 33-36, se trouve une allusion à une guerre que fait Rizzardo di San-Bonifacio. D’après Casini, cela semble rendre probable que la date de notre pièce doit être assez rapprochée de celle de l’enlèvement de Cunizza, incident dans les hostilités entre Rizzardo et les da Romano, donc aux environs de 1226 ( 4).
NOTES CRITIQUES ET EXPLICATIVES
10. Tu au lieu de te ; de même 36. La substitution du cas sujet des pronoms personnels au cas régime est habituelle dans les dialectes modernes (voy. Mistral, à ieu). Voy. quelques autres exemples, dans des textes peu anciens, dans Appel, Chr.², 106, 15, et 110, 22.
14. La répétition de res à la rime (cf. 10) serait choquante dans une poésie soignée ; mais elle n’est pas autrement étonnante dans une cobla.
17. Raynouard (Lex. rom., III, 45) garde le texte de C et interprète dic par « digue, rempart ». Mais il serait bien étonnant que le néerlandais dijk, qui n’apparaît en français qu’au quatorzième siècle (sous la forme dique), fût aussi ancien en provençal. Diez, enregistrant l’hypothèse de Raynouard (Et. W., I, diga), la fait suivre d’un point d’interrogation. Les critiques modernes ont bien vu qu’il fallait une correction, mais n’ont rien trouvé de satisfaisant. Cavedoni (Ricerche storiche intorno ai trovatori... nella corte dei marchesi d’ Este, p. 35) traduit : il marchese che è detto da Este, c’est-à-dire, sans doute, qu’il corrige que d’Est’ es dicx ; Casini (Propugn., XVIII, I, 168) accepte cette traduction. M. Torraca (Sul Pro Sordello, p. 59, n. 1) lit qued es tos dicx, et traduit che è detto giovinetto. Mais dicx ne peut en aucune façon être dictus. E. David (Hist. litt., XIX, 475), tout en corrigeant arbitrairement dicx en rics, conserve la traduction de Raynouard : « qui est ton soutien ». On pourrait songer à que es totz trics, « qui est toute tromperie », ou un « trompeur fieffé ». On sait que le mot tric peut-être substantif et adjectif et avoir ces deux sens. En voici quelques exemples, non cités par Raynouard (V, 422) :
A :
Que gaiesa m’a tolguda
Non fes e trics e soanz.
(G. de S. Leidier, Malvasa, c. 1 ; M. G. 365.)
Aitan quant ieu vos desir
Ses tric e ses cor volatge.
(R. de Vaqueiras, A vos, c. 6 ; M. G. 527.)
B :
Mais vaill que fols ni trics.
(Uc Brunenc, Lanquan, c. 2 ; ms. A, nº 335.)
L’expression ses cor tric est fréquente (R. de Vaqueiras, Guerras, c. 2, ms. A, nº 469 ; G. de Saint -Leidier, Pois fin’ Amors, c. 5 ; M. G. 87).
30. Casini (loc. cit., p. 169, n.) rappelle que Cavedoni a rapproché de ces vers une cobla de Cavaire contre un jongleur du marquis d’Este (III, 2 ; Rayn. Ch., V, 112, et Studj, V, 521).
33. Pour mal dig, on peut hésiter entre male dico et malum dictum, ce qui, au reste, donne le même sens.
Notes :
1). Witthoeft, Sirventes joglaresc, pp. 35, 55 ; P. Rajna, Giorn. di filol. rom., I, 90. (↑)
2). Von Raumer, Geschichte der Hohenstaufen¹, III, 650-653. (↑)
3). Cf. Casini, I Trovatori nella marca trivigiana, l. l. (↑)
4). De Lollis, Sordello, p. 11. (↑) |