IV
POÈMES DE PROVENCE
B) GROUPE DE SOBEIRANS D’ARGENSA
Dans ce groupe, auprès de N’Agout cité dans sept poèmes, nous trouvons un personnage des plus importants, puisqu’il s’agit du Comte de Toulouse et de Saint Gilles. A ce dernier titre, le Comte de Toulouse possédait la Terre d’Argence, partie du diocèse d’Arles situé sur la rive droite du Rhône. Si tot noncas res es grazitz parle d’En Sobeiran d’Argenssa, et sans aucun doute le Bel Sobira ou Sobira qu’on retrouve dans quatre autres poèmes désigne le même personnage. Il ne fait pas de doute qu’il s’agit ici du Comte de Toulouse et Saint Gilles, souverain de l’Argence. Ces poèmes et ceux qui s’y rattachent mentionnent aussi, outre Agout déjà nommé, Plus Avinen et Santongier, comme ceux du groupe précédent.
Ces personnages font partie du groupe d’amateurs de poésie courtoise qui sont tous sans doute voisins, habitant la Provence du Marquisat et la Terre d’Argence, et qui sont appelés par Si tot noncas : En Agout e sa conoissenssa. En Sobeiran d’Argenssa, en sa qualité de Comte de Saint Gilles et de Marquis de Provence, était leur seigneur et suzerain.
Ces poèmes, dont trois sont appelés vers, remontent peut-être, pour certains d’entre eux, avant 1173, car Linhaure, que nous identifions à Raimbaut d’Orange, faisait partie de ce groupe de « connaissances ». Les sept premiers particulièrement dénotent des recherches prosodiques et un vocabulaire raffiné, ainsi qu’une pensée plus obscure et un style plus compliqué, que nous attribuons à l’influence de Linhaure — Raimbaut, déjà sensible dans plusieurs pièces du groupe précédent. C’est ce que nous appellerons le trobar car de Gaucelm, d’après l’expression qui se trouve dans la 1ère str. de D’un amor on s’es asis.
Les pièces de ce groupe paraissant toutes se situer avant 1190, Sobeiran d’Argenssa est forcément, selon nous, Raimon V de Toulouse.
POÈMES DE PROVENCE — SOBEIRANS D’ ARGENSA
Autres mentions : 19 Santongier, Proensa, Lemozi ; 20 Plus Avinen ; 22 (Agout)e sa conoissensa, Thesaur, Ric de Joi ; 23 Plus Avinen ; 25 Plus Avinen, Donz Itis ; 27, Senhor de Peitieu ; 29 Lemozi ; 30 Santongier.
31. GAUSELMS FAIDITZ, DE DOS AMICS CORALS
GENRE
Partimen entre Gaucelm Faidit et Aimeric. Le nom de Pegulhan n’est pas attesté dans le texte, mais dans les rubriques de CDaDcIK.
SCHÉMA MÉTRIQUE
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Tornada |
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Six strophes, coblas unissonans, de 8 vers de 10 syll. 2 tornadas de 4.
Rimes : a = als, b = es, c = ir, d = atz.
Istvàn Frank, R. M. P. T., I, p. 111 : N. 577, 6.
COMMENTAIRE
Bien que le nom de Pegulhan soit attesté par cinq rubriques, le texte ne le mentionne pas. Il n’est donc pas exclu que le partenaire soit un autre Aimeric. D’autre part, Aimeric y fait appel, comme arbitre, au Comte de Foix — vraisemblablement Raimon-Roger (1188–1223) — vassal et parfois allie du Comte de Toulouse, seigneur d’Argence et marquis de Provence : c’est pourquoi nous rattachons cette pièce aux poèmes de la série où apparaît Sobeiran d’Argenssa.
L’arbitrage du seigneur de Foix pourrait faire croire que Gaucelm a dû fréquenter la ville et le château de ce nom. Il faut bien reconnaître que dans son œuvre c’est ici le seul indice qui nous mène dans cette direction. On peut admettre que Gaucelm a pu rencontrer et fréquenter le Comte de Foix à la cour du Comte de Toulouse, lors d’un des fréquents séjours du « Souverain d’Argence » dans ses terres rhodaniennes. C’est là qu’il a dû connaître aussi le Toulousain Aimeric de Pegulhan. Cette pièce pourrait donc dater d’après 1195, l’activité poétique d’Aimeric se plaçant entre 1195 et 1230 environ. (1) Cependant, le troubadour toulousain a dû commencer à composer avant cette période, puisqu’on admet qu’il aurait été client de Raimon V de Toulouse, mort en 1914.
Il est, sur ce point, intéressant de noter qu’Aimeric, dans ce partimen, semble être encore débutant, et même disciple de Gaucelm. En effet, aux vers 33–34, il s’écrie : Gauselms, ben sai que vos etz totz aitals — Cujatz quez ieu n’aja de vos apres ? …
Il faut également remarquer qu’ici c’est Aimeric, et non Gaucelm selon son habitude, qui défend la solution la plus courtoise. Faudrait-il penser que Gaucelm, déjà d’âge mur, brouillé ou près de se brouiller définitivement avec Maria de Ventadorn, dont le service courtois a été son « afar major », est tout naturellement désabusé ? Peut-être aussi a-t-il voulu laisser le beau rôle à son cadet, peut-être son disciple.
1) Cf. Shepard-Chambers, et Jeanroy, PLTI, p. 331–332. (↑)