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Mouzat, Jean. Les poèmes de Gaucelm Faidit. Troubadour du XIIe Siècle. Paris: A. G. Nizet, 1965

167,026=432,002=449,001a- Gaucelm Faidit

 

VIII
POEMES DES PAYS DE LANGUE D’OIL
LES PLANTAGENETS ET LEURS VASSAUX

Nous avons rassemble ici des poèmes adressés à de grands personnages de langue d’Oïl : les Plantagenets. Les fils de Henri II d’Angleterre ont été les plus puissants protecteurs de Gaucelm Faidit. Bien qu’un petit nombre de poèmes leur ait été dédié, le Planh du Roi Richard démontre, par les vives louanges qu’il leur adresse, l’importance que Richard et ses frères ont eu dans l’esprit et dans la vie de Gaucelm. Il faut signaler de plus que Geoffroi de Bretagne, co-auteur du partimen publié ici, ainsi que Richard Cœur de Lion lui-même, furent poètes et ont composé en langue d’Oïl. Savari de Mauléon, l’un des trois partenaires, et initiateur du Torneyamen, est, à un moindre dégre, dans le même cas ; mais, bien que Poitevin, il s’exprime en langue d’Oc. Par contre, Gaucelm Faidit, qui, dans Anc no-m parti de solatz et de chan, nous apprend qu’il a séjourné « en France », a composé entièrement en langue d’Oïl la rotrouenge Can vei reverdir les jardis. Ce poème, par lequel Gaucelm prend en quelque sorte rang parmi les trouvères aussi bien que parmi les troubadours, s’insère tout naturellement dans ce groupe.

Les poèmes groupés ici sont parmi les plus intéressants mais aussi les plus troublants de Gaucelm Faidit. Ils présentent plusieurs problèmes délicats que nous avons tenté de traiter dans les commentaires de ces diverses pièces.

JAUSEUME, QUEL VOS EST SEMBLAN Partimen bilingue du Comte de Bretagne (l. Oïl) et Gaucelm (l. Oc). Avant 1186.
NO M’ALEGRA CHANS NI CRITZ Chanson dédiée à Richard C. de L. alors Comte de Poitiers. Avant 1189.
CAN VEI REVERDIR LES JARDIS Rotrouenge en l. d’Oïl. Prob. composée en croisade « outre la mer ». 1190 ou 1202.
FORTZ CHAUSA ES QUE TOT LO MAJOR DAN Planh sur la mort du Roi Richard (mars 1199). 1199.
GAUCELM, TRES JOCS ENAMORATZ Partimen triple (Torneyamen) avec Savari de Mauléon et Uc de la Bacchalaria. v. 1200.


 

51. GAUCELM, TRES JOCS ENAMORATZ

GENRE

Partimen triple, appelé Torneyamen par le ms C.

 

SCHÉMA MÉTRIQUE

a b b a c c d d e e e f f Tornada e e e f f
8 8 8 8 8 8 8 8 8 8 8 8 8   8 8 8 8 8

Six strophes, coblas unissonans, de 13 vers, 3 tornadas de 5.

Rimes : a = atz, b = o, c = ors, d = an, e = en, f = es.

Istvàn Frank, R.M.P.T., I, p. 130, N. 596. Exemple unique.

 

COMMENTAIRE

Cette pièce, unique dans l’œuvre de Gaucelm comme partimen triple, a eu beaucoup de succès à toutes les époques — quatorze mss., éditions modernes nombreuses — à cause de la gaillardise bon enfant du sujet, et d’une verve indiscutable.

Le thème en est peut-être très ancien. Jeanroy (1) donne la référence, à son propos, d’un verset des Proverbes de Salomon que voici : l’homme pervers… « Il cligne des yeux, parle du pied, fait des signes avec les doigts ». 

En tout cas, nous voyons paraître aux côtes de Gaucelm le troubadour limousin Uc de la Bachalaria qui a échangé avec G. Faidit un autre partimen ; et surtout celui qui eut l’initiative, Savaric de Mauléon. Ce grand baron poitevin, dont le château a pris le nom de Chatillon-sur-Sèvre depuis 1736, était né aux alentours de 1180 et mourut après 1230. Sa vie, mouvementée et romanesque, déborderait largement le cadre de ces notes. Rappelons qu’il fut, comme son père Raoul, Sénéchal de Poitou, et qu’en cette qualité il servit tour à tour les rois de France et d’Angleterre. Enfermé par Jean sans Terre en 1202 dans la tour de Corff (Comté de Dorset), il s’en évada. Il eut en garde des châteaux en Bordelais (Benauges) et en Saintonge (Merpins, 1207). Il défendit Toulouse contre les croisés de Simon de Montfort en 1211 et participa à la croisade de Palestine en 1219. Il était un peu pirate et fonda Port-Savary ; il battait monnaie… Parmi ces activités variées, il cultivait aussi celle de troubadour :

nous avons de lui une cobla et deux partimens dont celui-ci.

Dans cette pièce, le nom de Faidit n’est pas atteté dans le texte. Cependant, il est à peu près certain qu’il s’agit de notre troubadour. Quatre rubriques, et même cinq, donnent le nom de Faidit en plus du prénom Gaucelm, dans les chansonniers CIKOa1.

Chose remarquable, Gaucelm ne propose pas comme arbitre Na Maria de Ventadorn, mais une autre dame, Na Guillelma de Benauges. C’est Savaric qui propose Na Maria, après sa dame, son Gardacors (vêtement, ou armure ?) D’après la Razo B de Savaric — car les Vidas nous donnent sa biographie, qui dit qu’il fut « sel qu’era razitz de tota la cortezia del mon » et « larcs sobre totz los larcs » — la dame de celui-ci aurait été « ma dona Guillerma de Benaujatz », femme de Peire de Gabarret, vicomte de Benauges, près de Cadillac et Langon, dans le Bordelais ; ce qui communément accepté comme exact. Cette dame est également proposée comme arbitre du partimen : Savaric, ie-us deman, par son partenaire, le Prebost de Lemotges — ou peut-être de Valensa— qui donne aussi les noms de Na Maria de Ventadorn et de la dame de Montferran.

Dans Gaucelm, tres jocs… , c’est bien pourtant Gaucelm qui met en avant Na Guillelma de Benauges.

C’est également le « Prebost » qui la propose dans l’autre partimen. D’autre part, la réflexion d’Uc de la Bachalaria : mas pron vei que n’i a de tres, je vois qu’il y en a assez de trois, paraît impliquer que Mos Gardacors de Savaric est différente de Na Guillelma, puisqu’il y a trois juges féminins. 

On pourrait cependant admettre que Mos Gardacors représente Na Guillelma si l’on acceptait la version que seul donne le ms A :

mas pro n’i a ab meins de tres

« mais il y en a assez avec moins de trois » . Celle-ci pourrait être authentique, malgré la version différente de tous les autres mss.

Cependant, le fait que Gaucelm et le Prebost, dans deux partimens différents, mais où Savaric est partenaire dans les deux cas, proposent la même dame ne peut guère être un hasard. Ceci aussi tendrait à faire admettre que Na Guillelma de Benauges a bien été la dame de Savaric, qui d’ailleurs eut en garde le château de Benauges. (2)

En outre, le fait que Gaucelm ne propose pas Na Maria, mais une autre dame, semble indiquer que ce partimen a été composé après la séparation de notre troubadour et de la Vicomtesse de Ventadorn, c’est-à-dire après 1195 environ. La pièce a pu être composée aux alentours de 1200, et peut-être à Benauges ou dans les environs, mais non à Ventadorn, car nous croyons peu vraisemblable que Gaucelm ait pu continuer à fréquenter ce château après sa rupture avec Maria.

Notons pour terminer que les « Biographies » des Troubadours offrent une Razo qui prétend expliquer ce partimen par une aventure réelle où « Guillerma de Benaujatz » aurait favorisé des amabilités en question En Jaufre Rudelh de Blaya, Elias Rudelh de Bragairac et Savaric lui-même (2). Les trois seigneurs se seraient ensuite conté leurs bonnes fortunes. Savaric en aurait été fâché, dolens ; sans rien dire, il aurait fait venir Gaucelm Faizit (sic) et Ugo de la Bacalayria, et leur aurait proposé le partimen. Nous estimons que nous avons ici une aimable nouvelle romancée sortie de l’imagination d’un rédacteur de Razos, après lecture du « Torneyamen ».

 

1) Cf. J. Boutière-A. H. Schutz, Biographies Tr., p. 317–320 et 1119–420 ; H. J. Chaytor, Sauaric de Mauleon, Baron and Troubadour, etc. ()

2) Cf. Biogr. Tr., p. 320, Savaric de Malleo, Razo (C) de 432,2. Si cette nouvelle avait un fondement historique, le Jaufre Rudelh de Blaya dont elle parle ne pourrait pas être le célèbre troubadour de l’amor de lonh, mais serait un de ses descendants. ()

 

 

 

 

 

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