Pièces d'attribution douteuse ou erronée.
Zenker, entre autres raisons alléguées pour en refuser à Falquet la paternité, souligne les analogies de contenu entre cette pièce et l’Aube, qu’il croyait alors l’œuvre de Folquet de Marseille. Il n’avait donc aucune raison de dénier le poème à celui-ci, à qui l’attribuait l’unicum R, éd. cit. 6.
Dans son compte rendu de cette édition, C. Appel souligna qu’on pouvait parler de communauté de contenu non seulement pour cette pièce et l’Aube, mais aussi pour la chanson Quan be me sui apensatz. Aussi, lorsque Zenker rendit l’Aube à Falquet, ZrP XXI, 1897, 337-338, il fut tout naturellement conduit à lui attribuer également la lamentatio. Il s’appuyait sur les arguments suivants : 1. Il existe dans ce texte des éléments dialectaux semblables à ceux qui ont guidé Appel pour l’Aube ; seraient ainsi caractéristiques du parler de Romans la chute du a final après i ou un son mouillé (malenconi, v. 21) et la monophtongaison de au (clors, v. 113). 2. On ne rencontre pas, chez le Marseillais, de poème en octosyllabes et rimes plates, alors que le Salut de Falquet revêt cette forme. 3. L’image du v. 100 rappelle le v. 67 de l’Aube. 4. On reconnaît dans le style du morceau la fraîcheur de Falquet, qui s’oppose à la manière de Folquet.
Cette argumentation n’a pas emporté l’adhésion de Stroński. Dans son édition de Folquet de Marseille, 137*-139*, il critique sans aménité les propositions de Zenker : 1. Des dialectalismes, il ne retient que la forme clors : celle-ci, “quoiqu’elle se trouve dans un passage qui n’est pas tout à fait clair, pourrait bien indiquer que l’auteur était du Dauphiné”. 2. Les rimes plates ne s’emploient que dans des cas spéciaux et l’on ne saurait sérieusement rapprocher une épître d’amour et une poésie religieuse bien déterminée. 3. L’image du v. 100 renvoie à la langue liturgique et n’a rien de surprenant dans des poésies religieuses. 4. L’argument du style est insuffisant.
Stroński rejette ensuite l’opinion qui faisait de cette pièce la production éminemment personnelle d’un troubadour converti exprimant son repentir. En fait, la seule véritable originalité de cette pièce est d’être la version en langue vulgaire d’un genre “bien connu dans la poésie religieuse latine du Moyen Âge sous le nom ‘lamentatio poenitentiae’, ‘planctus poenitentiae’, ou bien ‘lessus poenitentiae’”. Le savant polonais donne ensuite une série d’exemples prouvant que le poète a non seulement repris le sujet de ces poésies latines, mais encore, dans le détail, des motifs et des images : “ce petit poème n’est, au fond, qu’un tissu de motifs empruntés à la poésie religieuse latine”.
Une fois détruit l’argument du rapport de contenu, Stroński avance son argument définitif : “notre auteur ignore l’élision : voy. les vv. 14, 54, 64, 65, 66, 85, 147 et cf. 8, 24, 84 ; les seuls cas d’élision se trouvent aux vv. 126 et 101 (où il s’agit de l’e prosthétique : m’esperansa). Au contraire Folquet de Marseille et Folquet de Romans, de même que tous les troubadours, abhorrent l’hiatus et l’élision apparaît régulièrement dans toutes leurs poésies”.
Sans être aussi assuré que Stroński de l’attitude des troubadours face à l’hiatus, on doit admettre que le dialectalisme clo(r)s dans un passage obscur ne saurait suffire, dès lors que l’argument sur le contenu perd beaucoup de sa vigueur, pour désigner Falquet de Romans comme auteur de ce poème. Enfin le flottement dans la déclinaison (v. infra aux notes) nous conduit à une époque assurément postérieure à celle de Falquet et de Folquet.