1. No sap per que. — Appel propose, avec hésitation il est vrai, de corriger la leçon des deux manuscrits & de lire say au lieu de sap: le sens que l'on aurait ainsi serait sans doute très acceptable. Mais pourquoi ne pas admettre: no sap per que? Cela signifie littéralement: elle ne sait pas pourquoi; par suite: c'est sans raison que, c'est bien à tort que; & c'était sans doute une de ces formules toutes faites, comme il y en a chez les troubadours, & qui ont perdu beaucoup de leur sens primitif. Nous avons trouvé ailleurs sabetz per que. (Cf. VIII, 10 & la note.) Quant au rejet du sujet dompna à la fin de la phrase dans une proposition secondaire, il n'a rien de choquant & est même tout naturel, si no sap per que a bien la valeur d'une formule toute faite.
Va son joy tartan. — Sur les périphrases formées avec anar & le participe présent d'un verbe, & qui n'ajoutent rien au sens de ce verbe, cf Diez, Grammaire, trad. franç., III, 184.
Le poète est déjà revenu plusieurs fois sur cette idée que les dames ont tort d'opposer tant de difficultés à leurs amants. Cf. en particulier VI, 15, & VII, 25.
3. pus a gardé ici, comme au vers 8, quelque chose de son sens temporel primitif: du moment où.
4-6. Le poète avait déjà dit à peu près de même ( VII, 27):
Que quascuna pus ve son amador
Fi ses error, falh si l'alonga mays.
Il avait aussi traité de follor une pareille pratique, & il avait aussi du que le désespoir abrégeait la vie des amants ainsi repoussés.
7. se temer construit avec le pronom personnel, comme se pensar, s’albirar, &c. Sur cette construction & sur la valeur de ce pronom personnel, cf. VIII, 34 & la note.
8. Sur le sens de pus, cf. la note au vers 3.
9. ab bel cors. — Le provençal se sert de ab comme de de pour déterminer un substantif, &, comme de, ab peut se construire soit avec esser, soit directement avec le substantif. Beaucoup de locutions de cette sorte, que Diez (Grammaire, trad. franç., III, 146) explique comme étaut formées de la proposition ad, doivent être rapportées en réalité à ab.
12. pro, en ancien provençal, se construit soit avec de, soit aussi comme adjectif invariable sans de. Cf. Diez, Grammaire, trad. franç., III, 137.
14. Ici encore Appel suppose une faute commune aux deux manuscrits & corrige per dever en per aver. Mais au point de vue du sens, la correction ne nous paraît pas heureuse, puisque le poète n'attribue pas à la cupidité le mépris des dames pour les amants de condition plus humble. Il ne veut pas insinuer qu'elles aiment leurs pairs surtout pour leurs richesses, mais qu'elles se refusent à aimer au-dessous d'elles par un souci exagéré de leur dignité & par crainte de déchoir. Mais à quoi bon corriger dever qui convient parfaitement ici? Le mot ne signifie pas seulement en effet devoir, mais il est parfois synonyme de position, dignité, rang, & c'est bien le sens qu'il paraît avoir ici. « Les dames, dit le poète, ne doivent pas aimer quelqu'un pour le rang qu'il occupe, mais elles doivent aimer le plus fidèle. » Sur ce sens particulier du mot inconnu à Raynouard, cf. E. Levy, Provenz. Supplem. Woerterbuch, II, 195.
15. ab que = même si, quoique. Sur ce sens du mot inconnu à Raynouard, cf. E. Levy, op. cit., I, 1. — La même idée avait été exprimée avant Montanhagol. Cf. Cnyrim, Sprichwoerter bei den provenz. Lyrikern, p. 25.
16. Ici encore nous avons une de ces anomalies comme en présente souvent chez les troubadours la syntaxe des temps & des modes. Nous avons vu ailleurs une phrase conditionnelle dans laquelle le verbe de la proposition exprimant la condition est à l'imparfait. Ici, c'est l'inverse que nous avons: le verbe de la proposition principale, graziria, est au conditionnel, mais celui de la proposition exprimant la condition est au mode réel & au futur. Cf. VI, 7 & la note.
Cette idée que les humbles sont ceux qui aiment le mieux se retrouve aussi ailleurs. Cf. les passages cités par de Lollis & rapprochés de ces vers de Sordel (XXIV, 21):
Doncx non deu trop ricor gardar
Dona, quar un non a en cen
Ric home que am finamen
Ans cujan qu'om los dey'amar.
17. Ici encore la conjonction et, qui devrait unir les deux régimes ses enjan & de bon talan, est omise. Cf. VI, 32 & la note.
18. que suffit pour exprimer le sens final afin que, qui s'exprime d'ordinaire par per que, per so que, &c. (Cf. Diez, Grammaire, trad. franç, III, 325.) — Il faut assurément rapprocher cette déclaration de celle qu'avait faite ailleurs le poète: d'amor mou castitatz, & la considérer comme les deux formules caractéristiques de la doctrine nouvelle. Cf. Introduction, L'œuvre de Montanhagol.
19. Sur cette construction se triar ad, exprimant une idée de changement qu'on retrouve avec tous les verbes signifiant: faire, rendre, nommer, élire, choisir pour, &c., & qui est tout à fait équivalent de la construction avec un double accusatif: faire quelqu'un roi, &c, cf. Diez, Grammaire, trad. franç., III, 145.
19-20. Ceci est une allusion très nette au fait que l'empereur Frédéric II, étant parti pour la Croisade (1228) & ayant conquis par un traité Jérusalem, s'y couronna roi lui-même, ayant pris la couronne sur l'autel, parce qu'aucun prêtre n'avait voulu sacrer un prince anathématisé (1229). —- Le mot emperador est une légère inexactitude, puisqu'il s'était couronné roi de Jérusalem.
21. y ne représente pas grammaticalement ad emperador, mais l'idée générale de la dignité impériale, & de même au vers suivant, il représente l'idée exprimée plusieurs vers plus haut par que ben gar vostr'onor. — Ailleurs encore le poète fait l'éloge de l'empereur Frédéric II (cf. XI, 46). Beaucoup de troubadours l'ont loué pour la protection qu'il leur accordait. Mais l'éloge de Montanhagol s'explique peut-être autrement, si l'on songe aux raisons qu'un Toulousain tout dévoué à son comte pouvait avoir d'être reconnaissant a Frédéric. En septembre 1243, il venait de rendre à Raymond VII le marquisat de Provence & du Venaissin.
23. res, dans la langue des troubadours, est souvent synonyme de personne & parfois même il désigne spécialement la personne, la dame aimée. Cf. Leys, II, 180.
per ver = per lo ver: « par la vérité, vraiment. » L'article est omis comme dans d'autres locutions formées d'un substantif précédé d'une proposition & qui marquent le moment, la manière, &c. Cf, Diez, Grammaire, trad. franç., III, 28.
27. Cauzir en, construit comme triar en ( VII, 45), « faire choix de. » Sur cette construction, cf. E. Levy, Provenz. Supplem. Woerterb., I, 231.
28. sol no pes lo baran. — Raynouard (Lex. rom., II, 183) traduit: « seulement qu'elle ne pense pas la supercherie. » Ce qui est, il est vrai, assez mal dit pour « pourvu qu'elle ne », &c. Mais E. Levy (op. cit., I, 125) trouve que cela ne s'accorde pas avec le contexte.
Il nous semble, au contraire, que le poète ne fait que reprendre une idée déjà exprimée: tout homme est digne d'être aimé, pourvu qu'il soit homme d'honneur & qu'on ne soupçonne pas en lui de fausseté. Nous ne considérons pas non plus comme irréfutable l'objection qu'il fait à cette interprétation, que, dans ce cas, le poète n'aurait pas employé avec baran l'article défini. Il nous semble, en effet, qu'on peut dire aussi bien: pourvu qu'elle ne soupçonne pas en lui le désir de tromper & de désir de tromper. En réalité, la seule raison sérieuse qui puisse faire mettre en doute l'interprétation de Raynouard, c'est que le mot baran n'est pas connu par ailleurs. Nous n'en avons pas d'autre exemple, & Raynouard ne semble lui avoir donné ce sens que pour son rapport de forme avec des mots comme barat, baratar, baratador. Mais cette réserve faite, on peut, à défaut de toute autre, admettre l'explication de Raynouard. Considérer baran comme la 3e pers. sing. du subj. présent d'un verbe barandar que l'on ne connaît pas, ou lui donner le sens de rang, dignité, position, nous paraîtrait aussi arbitraire que de le traduire par supercherie, & n'irait pas sans rencontrer aussi des difficultés.
mielhs = plutôt, de préférence à tout autre. Ce sens, un peu différent du sens ordinaire du mot & inconnu à Raynouard, est attesté par plusieurs autres exemples. Cf. Appel, Chrestomathie, au Glossaire; de Lollis, Sordello, p. 289, renvoyant à Stimming, Bertran de Born, p. 349.)
retener paraît être un terme technique de la langue courtoise pour signifier: accepter pour amant. Cf. Canelio, Arnaldo Daniello, p. 215.
32. i = par rapport à lui, représente lo plus bas, & par conséquent une personne. Sur cet emploi particulier du mot, cf. VI, 23, & la note.
33. Formules de protestation qui sont de style chez les troubadours:
Don, hom cochatz de folhatge
Jur'e pliu e promet guatge.
(Appel, Chrestomathie, 64, 64.)
Que quascus pliu en sos digz et afia.
(Arnaud de Marueil, in Jeanroy, Thèse lat., 37.)
Sur l'expression per ver, cf. la note au vers 23.
34. Sur ce sens particulier du mot res = personne, cf. la note au vers 23.
35. Sur ce sens d'alhor, servant à désigner aussi une personne, cf. E. Levy, Prov. Supplem. Woerterb., I, 51.
·n = en, à cause de cela est employé ici par pléonasme, per que n'ayant pas lui-même d'autre sens. C'est là un fait fréquent & dont nous avons trouvé d'autres exemples. Cf. encore Stimming, Bertran de Born, 238.
36. C'est la même crainte que le poète avait exprimée ailleurs ( VIII, 44), sans du reste s'y arrêter davantage. — Nous avons ici à côté de la construction de pro avec de, déjà relevée au vers 12, l'autre construction sans de. Cf. la note au vers 12.
Nous avons déjà relevé un autre exemple tout à fait analogue de cette construction anormale de la phrase conditionnelle: le verbe de la proposition principale podetz est au présent de l'indicatif au lieu du conditionnel, alors que celui de la proposition secondaire plazia est à l'imparfait. Cf. la note à VI, 7.
37. cen tans. — En provençal tan & aitan, accompagnés d'un nombre cardinal, sont considérés comme substantifs & suivent les règles de la flexion. Cf. de Lollis, Sordello, pp. 250 & 294.
38. pero = c'est pourquoi. Sur ce sens du mot, cf. VII, 21, &, la note.
40. Sur la locution esser a far, cf. VI, 1; VIII, 19, & les notes.
coras que sia = à quelque moment que ce soit, un jour ou l'autre. Sur ce sens de coras que, cf. E. Levy, Provenz. Supplem. Woerterbuch, I, 359.
41. Sur Esclarmunda, plusieurs fois louée par le poète, mais toujours trop vaguement désignée, cf. V, 40; VI, 40; VII, 49, & les notes
42. Ailleurs encore le poète avait expliqué & à peu près de même façon le nom de la dame. (Cf. VI, 40; VII, 49.) Sur l'expression per ver = vraiment, cf. la note au vers 23.
43. dever signifiant à la fois « le devoir » & « ce qui sied », nondever équivaut à « ce que l'on ne doit pas faire ». |