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Boutière, Jean. Les poésies du troubadour Peire Bremon Ricas Novas. Toulouse - Paris: Édouard Privat - Henri Didier, 1930.

330,006- Peire Bremon Ricas Novas

XVI-XVII-XVIII
  
Cinq des sirventés échangés par Bremon et Sordel ont été conservés par AD (un des cinq aussi par IK et un autre par MR) ; un sixième par C et R.
Diez (1), le premier, a étudié ces sirventés ; mais le classement qu’il en a proposé présentait des points faibles et a été critiqué par M. Schultz-Gora (2). Ce dernier a bien su reconstituer les trois couples de sirventés, mais il a placé ces couples dans un ordre qui n’était pas le bon. M. De Lollis (3), puis MM. Bertoni-Jeanroy (4), avec plus de netteté encore, ont démontré la nécessité d’une autre disposition, « imposée par l’ordre des pièces dans AD et, plus évidemment encore, par l’examen du contenu (5) ». C’est cette disposition, adoptée par MM. Bertoni-Jeanroy dans leur édition, que nous avons reproduite ci-dessus (6).
C’est M. Schultz-Gora qui a essayé pour la première fois de fixer la date de ces pièces (7) ; il s’est arrêté à l’année 1240. M. De Lollis (8) a critiqué l’argumentation de M. Schultz, mais il est arrivé, par une voie différente, à la même date.
Enfin MM. Bertoni-Jeanroy (9), considérant, d’une part, le rôle indirect joué par Reforzat, « surpris par la mort vers 1250 au plus tard » ; d’autre part, l’allusion de Bremon, dans son 3e sirventés (vv. 20-29), à un voyage en Espagne fait par Sordel aux alentours de 1230, se sont demandé, sans prendre d’ailleurs aucune décision, s’il ne fallait pas reculer la date proposée par MM. Schultz-Gora et De Lollis. Tout en reconnaissant la valeur des arguments de MM. Bertoni-Jeanroy, nous croyons que la date de 1240-1241 peut être acceptée.
Les six sirventés, pleins de cruels sarcasmes et de basses injures, sont très vraisemblablement postérieurs à l’année 1237, où parut le planh (pièce XX), parodie de ton très modéré. Une allusion de Sordel permet de vérifier celte hypothèse ; voici ces vers (19-20 du 3e sirventés) :
 
Huey mais, pus ven la patz e·l gai[s] temps de Pascor,
si deuria (Bremon) mostrar ab garlanda de flor.
 
La paix conclue au temps de Pascor entre le comte de Toulouse el le comte de Provence ne peut être qu’une des trois suivantes : ou celle du début de 1234, ou celle de 1237, ou celle de 1241 (10). Plusieurs passages des sirventés prouvant qu’au moment de ce duel poétique Bremon était auprès de Barral (11), l’année 1284 ne saurait être retenue, puisque Barral n’entra en possession de sa part des biens paternels qu’à la fin de la dite année (12). Nous ne pensons pas non plus qu’il soit question de la paix de juin 1237 : les hostilités n’avaient repris qu’au printemps de cette année-là, et « Sordel fait évidemment allusion à une guerre de quelque durée et à de longs pourparlers de paix (13) ». Nous croyons avec M. De Lollis (14) que Sordel parle de la guerre de 1240-1241, à laquelle Barral prit une part active, et qui se termina en 1241, après que Raimon VII eut promis au roi de France, le 14 mars, de faire la paix avec Raimon Béranger. Les sirventés doivent donc avoir été échangés en 1240-1241.
 
 
XVIII
 
1-4. Le poète joue sur les mots l’amor (l’amour) et la mar (la mer) ; sur ce jeu de mots, dont il est impossible de rien conserver dans la traduction, voy. Bertoni, Trovatori d’Italia, p. 535 : — Mar maior : c’est encore aujourd’hui un des noms de l’Océan Cf. Mistral, s. mar.
 
3. Descazern : au lieu de desesquern (A, deserqern D) qui ne donne pas de sens, il faut lire comme Rayn. (Lex., II, 340) et Rochegude (Parn. Occit., p. 210), avec R, descazern (M descaern). Raynouard traduit le verbe par « chasser, déposséder », parce qu’il le rattache, évidemment à tort, à casa. Levy fait de même dans le Petit Dict., p. 114. Le mot ne peut se rattacher qu’à cazern, « cahier » et aussi, comme terme de marine, « livre de loch » (Mistral, s. casernet). Dans les deux exemples où il apparaît, le verbe se relie à la même métaphore maritime et signifie « faire perdre la direction ».
 
4. Estern : ce mot a ici son sens ordinaire de « chemin ». C’est sans doute d’après ce passage que Rochegude le traduit aussi par « gouvernail », sens que n’exige nullement le contexte.
 
9. Pojat sus el cap : la locution pojar el cap signifie bien « monter à la tête », mais le verbe est ici employé impersonnellement, ce qui donne quelque embarras à la tournure : « cela lui est monté à la tête avec ses sirventés », c’est-à-dire : « ses sirventés lui sont montés à la tête ».
 
10. On pourrait songer à quelques corrections, car la leçon dont fai tan gran aclap est suspecte, parce que trop claire : peut-être que fai tans, no m’aclap, « qu’il fait si nombreux ; puisse-t-il ne pas m’accabler sous leur nombre », ou : que fai, tem no m’aclap. Aclapar signifie, en tout cas, non « amasser, entasser » (Rayn., IV, 21), mais « couvrir de pierre, enfouir » (Levy, Petit Dict.). Sur la racine clap, cf. Jeanroy, Annales du Midi, XVI, 319.
 
11. Rayn., Lex., II, 161, lit, avec Rochegude, par qu’anbroc (sic) los vers (texte de M) et traduit : « il paraît qu’il met en broc les vers ». Embrocar (non ambrocar) pourrait signifier, en effet, « mettre en brocs » ou « mettre en perce » (abrouca, en Gascogne, a ce sens) ; mais le texte de AD donne un sens excellent (vers est le subj. prés. de versar : « il semble qu’il les verse au broc », très abondamment), Le sens le plus ordinaire de embrocar est : « laver à grande eau ». Cf. Rayn., II, 261 ; Mistral, s. embrouca ; Levy s. embroca. Rayn. (et Roch.) lit : mescl’en enap (M a mesclab) ; mais il faut conserver mesca, « qu’il verse les sirventés du broc dans la coupe ».
 
12. Ici encore Rochegude a suivi R, avec une faute de lecture (il a lu pars con au lieu de par sian). Rayn., II, 310, accepte, en la corrigeant, la leçon de Roch. ; mais le texte de AD paraît bien être le bon. Ce texte est confirmé par M, et mot est, par là, assuré. Mais comment l’interpréter ? Nous proposons motz (cf. ital. mozzo, fr. mousse, « mutilé »), attesté uniquement chez Bertr. de Born et, peut-être, chez Peire Vidal. [Pour le détail voy. Bertoni-Jeanroy, p. 304].
 
15. De Trevis tro a Gap : l’itinéraire de Sordel paraît être tracé dans une danseta de Uc de Saint-Circ (Una danseta voill far). Celui-ci appellerait Sordel « ma vida ». Cf. Jeanroy-Salverda de Grave, Uc de Saint-Circ, pp. 100 et 202 ; Bertoni, Romania, XLII, p. 110.
 
20-21. [L’aventure dont il est question eut lieu, selon toute vraisemblance, en Espagne (v. 23), et la personne désignée ici peut bien s’identifier, d’après MM. Bertoni-Jeanroy, avec celle du v. 41 (seignor de Leon). Ce serait donc un roi de Leon qui aurait refusé à Sordel la mule demandée avec trop de sans-gêne. De Lollis (p. 26) admet que le seigneur de Leon du v. 41 est Alphonse IX (mort en 1230) ; mais il ne l’identifie pas, évidemment, avec le personnage qui refusa la mule (v. 21), car il n’aurait pas pu proposer, en ce cas, la date 1240-41 pour nos sirventés, du moment que Bremon parle de ce seigneur comme vivant (mas no·m mand ad aquel...). MM. Bertoni-Jeanroy croient qu’il s’agit de Ferdinand III (roi de Castille depuis 1217, et de Castille et Leon depuis 1230), grossièrement injurié par Sordel dans son célèbre planh (vv. 21-24). Si le v. 41 (Del seignor de Leon dis aquel mal que pocEn Sordels) fait allusion aux insultes du planh de Sordel (15) les sirventés n’auraient pas été écrits avant 1237.]
 
27. On sait que Joannet d’Albusson échangea, probablement à la cour d’Este, une tenson avec Sordel (Bertoni, Nuove rime di Sordello di Goito, dans le Giorn. stor. d. lett. ital., XXXVIII, 285, et Trov. d’Italia, p. 175). La leçon so (s’o) de MR (au lieu de si) est certainement la bonne.
 
28-29. Allusion obscure. Cananillas serait, d’après De Lollis, p. 25, Chénerilles, près de Digne : far issart désignerait, par métonymie, l’exercice des droits seigneuriaux. Tout cela est extrêmement vague et douteux ; mais nous n’avons rien de mieux à proposer.
 
32. Les mss. ont per mon r.. On s’attendrait à : « j’en jure par ma dame » (car Rainier paraît bien être un senhal). Notre correction est peut-être trop hardie, car per mon semble assuré par les mss.
 
33-40. La comparaison du jeu d’amour au jeu d’échecs se trouve déjà dans Guillaume IX, édit. Jeanroy, nº II (notamment vv. 46-47, où il y a le même mot [e]ntaulat[z]).
 
38. Fersa (et non forsa) est naturellement la bonne leçon. La « reine » ici pourrait être Cunizza.
 
39. Floc pour froc, comme dans Montanhagol (Coulet, IV, 39) et Magret (Naudieth, VIII, 41).
 
40. Tener toc = tocar, « frapper au but ».
 
41. Seignor de Leon : cf. la note aux vv. 20-21.
 
 
 
Notes :
 
1. Leben und Werke, pp. 386-387. ()
 
2. Ueber den Litderstreit zwischen Sordel und Peire Bremon, dans Archiv., XCIII, pp. 124 sqq. ()
 
3. Sordello, pp. 45-47. ()
 
4. Un duel poétique au XIIIe siècle, dans Annales du Midi, t. XXVIII (1916), pp. 271 sqq. ()
 
5. Un duel poétique au XIIIe siècle, dans Annales du Midi, t. XXVIII (1916), p. 275. ()
 
6. Cf. Append., II()
 
7. Ueber den Litderstreit zwischen Sordel und Peire Bremon, dans Archiv., XCIII. ()
 
8. Sordello, p. 40, note 4. ()
 
9. Un duel poétique au XIIIe siècle, dans Annales du Midi, t. XXVIII (1916), pp. 276-279. ()
 
10. Sordello, pp. 42-44. ()
 
 
12. Voy. l’Introd. de la pièce XV()
 
13. Sordello, pp. 44-45. ()
 
14. Sordello. ()
 
15. Sordel parle, il est vrai, du « roi de Castille » et Bremon du « seigneur de Leon » ; mais on désignait parfois le possesseur des deux royaumes par l’un de ses titres seulement. ()

 

 

 

 

 

 

 

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