Davantal - Einführung - Analysis - Presentación - Présentation - Presentazione - Presentacion

Bec, Pierre. Burlesque et obscénité chez les troubadours. Pour une approche du contre-texte médiéval. Paris: Stock, 1984.

029,015- Arnaut Daniel

 

III
 
Le contre-texte obscène

 

28-29-30-31

Peut-on jouer du cor dans le derrière des dames ? L'affaire Cornilh

 

Nous avons déjà fait allusion, dans l'Introduction de ce livre, à ce que René Nelli a plaisamment appelé « l'affaire Cornilh ». Il s'agit là d'un ensemble de pièces (trois cansós et une cobla) formant une sorte de tenson ou de jeu-parti. L'objet du débat, comme on peut le voir, est assez cocasse. Une dame du pays en effet, Ena ou Aina, aurait demandé à son soupirant, Bernard de Cornilh, pour mettre à l'épreuve la sincérité de son amour, de lui « corner » dans le derrière. Ce dernier refuse et la question en discussion est de savoir s'il a eu tort ou raison. Raimon de Durfort et Truc Malec sont d'accord pour condamner le refus de Bernard de Cornilh, et prennent la défense des exigences de la dame ; Arnaud Daniel au contraire, dans une cansó-sirventés aussi spirituelle que graveleuse, prend fait et cause pour le soupirant éconduit.

Ce cycle de poèmes grivois et scatologiques, auquel participa, avec Arnaud Daniel, un très grand troubadour, n'est vraisemblablement qu'une vaste plaisanterie, une sorte de gap à plusieurs (on a parlé à son sujet de res jocosa et de sermo jocosus), ou peut-être encore une satire burlesque contre ce que pouvait avoir d'excessif les « épreuves » auxquelles la dame soumettait parfois son chevalier servant. Selon toute évidence, la motivation initiale de ce jeu-parti ventilé sur plusieurs pièces est le nom même (s'il n'a pas été inventé de toutes pièces) du malheureux amant, Cornilh, qui rappelle singulièrement còrn (anus) et cornar (ici : souffler dans le còrn).

L'affaire dut connaître en son temps une certaine célébrité et inspirer vraisemblablement plus de poèmes que ceux que nous avons conservés. C'est en tout cas le seul thème qui a été retenu par le biographe dans la vida de Raimon de Durfort et Truc Malec : « Raimons de Durfòrt e'n Turc Malec foron dui cavalier de Caersin que feiren los sirventés de la dòmna que ac nom ma dòmna N'Aia, aquela que dis al cavalier de Cornilh qu'ela non l'amaria si el non la cornava el cul (1). »

Nous donnons les quatre pièces dans l'ordre vraisemblable de leur composition. Il est probable que c'est Truc Malec qui ouvrit le débat, dans une cansó dont nous n'avons conservé qu'une seule cobla, suivi par la première pièce de Raimon, à laquelle répond à son tour Arnaud Daniel. Enfin, dans une seconde cansó-sirventés, Raimon critique à la fois, en son nom personnel et en celui de son ami Truc Malec, l'attitude « négative » d'Arnaud Daniel et de l'infortuné Bernard. On remarquera que la cohésion interne du cycle est assurée par la répétition du même schéma métrique, d'ailleurs presque exclusivement spécifique de ces quatre pièces.

 

30
 
Arnaud Daniel

 

La carrière poétique de ce troubadour, originaire de Ribérac (Dordogne), s'étend de 1180 à 1216 environ : il prétend en effet, dans l'une de ses pièces, avoir assisté au couronnement de Philippe Auguste (1180), et une allusion à sa personne dans la célèbre galerie de portraits du moine de Montaudon (cf. nº 12), vers 1195, laisse pressentir qu'il était déjà connu à cette date. Élevé par Dante, dont il fut l'un des maîtres, au premier rang des troubadours, salué par Pétrarque comme un « gran maestro d'amore », « fra tutti il primo », Arnaud est sans doute le représentant le plus illustre et le plus doué du trobar ric. Dans les dix-huit pièces qu'il nous laisse (dont deux seulement avec la musique), il se révèle en effet comme l'un des plus savants ouvriers en vers du Moyen Age, et sa virtualité verbale et rythmique est extraordinaire, que ce soit dans la structure de la strophe, la recherche des rimes, l'emploi de l'allitération ou de l'assonance, la valorisation enfin de mots rares et précieux.

La pièce que nous donnons ici, en relation avec l'affaire Cornilh, et qui permet de la dater, a vu sa paternité contestée par quelques critiques, certains manuscrits l'attribuant à Arnaud de Mareuil ou à Guirautz de Bornelh. L'attribution à Arnaud Daniel reste quand même la plus vraisemblable. La pièce aurait été écrite par un Arnaud jeune, encore escoliers, entre 1175 et 1180. C'est, de loin, la plus scatologique des sirventés du cycle.

 

PILL.-CARST. : 29/15. Texte TOJA.

 

Note :

1. Raimon de Durfort et Truc Malec furent deux chevaliers du Quercy, qui composèrent les sirventés relatifs à la dame qui eut nom Mme Aya, celle qui dit au chevalier de Cornilh qu'elle ne l'aimerait point s'il ne lui cornait au derrière. ()

 

 

 

 

 

Institut d'Estudis Catalans. Carrer del Carme 47. 08001 Barcelona.
Telèfon +34 932 701 620. Fax +34 932 701 180. informacio@iec.cat - Informació legal

UAI