I
PIÈCES ISOLÉES ANONYMES
Ici ont été réunies cinq pièces dont le texte n’offre ni nom propre, ni senhal, ni allusion, permettant de les rattacher à l’un des protecteurs, amis ou inspiratrices connus de Gaucelm Faidit.
Pour la plupart, elles paraissent appartenir aux débuts littéraires du troubadour ou à sa jeunesse. Seule, Anc no cugei qu’en sa preizo (n. 5) fait probablement exception, mais date d’une époque difficile à déterminer nettement.
Ce sont
1. MOUT VOLUNTIERS CHANTERA PER AMOR
2. COM QUE MOS CHANS SIA BOS
3. GES DE CHANTAR NON ATEN NI ESPEH
4. JA NON CREZATZ QU’IEU DE CHANTAR ME LAYS
5. ANC NO CUGEJ QU’EN SA PREIZO
4. JA NON CREZATZ QU’IEU DE CHANTAR ME LAYS
GENRE
Chanso.
SCHÉMA MÉTRIQUE
a |
b |
b |
c |
a |
d |
c |
e |
e |
10 |
10 |
10 |
10' |
10 |
10' |
10' |
10 |
10 |
5 strophes de 9 vers pas de tornada, coblas capcaudadas
Rimes : a = ays, en, os, ays, os b = os, ays, en aya, en c = aya, aya, aya, en, aya d = ansa e = en, os, ays, os, ays ; selon les strophes.
István Frank, R.M.P.T., I, p. 149, n. 670, exemple unique (légère erreur pour les rimes c — en n’est pas mentionné).
COMMENTAIRE
Cette chanson, assez brève (cinq strophes) et sans tornada, n’est pas signalée par Bartsch dans son Grundriss.
Robert Meyer n’en parle pas. Kolsen en a donné une édition critique (voir supra) et lui a donné comme base le manuscrit C. Elle est très peu différente de la nôtre : au vers 3, Kolsen ajoute ainsi les deux syllabes qui manquent : ans dey [per so] … ; au vers 13, il donne malvatz ; au vers 32 il adopte la version très acceptable de C : ses cor biays, et en 34, il écrit qu’il aten. Dans ses commentaires, fidèle à la notion de Robert Meyer qui cherche à rattacher toutes les pièces qu’il peut à l’intrigue de Gaucelm avec Maria de Ventadorn, Kolsen veut voir dans cette pièce un poème qui daterait des premières années des relations Gaucelm-Maria. Il précise qu’elle serait de 1191–92. A ce moment, dit-il, le poète exprime son humilité et sa reconnaissance, alors que plus tard il exprimera des désirs et des prétentions hardies.
Nous ne pensons pas qu’il faille chercher à rattacher cette chanson à Ventadorn. Rien n’indique qu’il y soit question de Maria. Il nous paraît plutôt que c’est une chanson passe-partout, qui pouvait être chantée dans n’importe quelle cour et qui pouvait s’adresser à n’importe quelle dame. Gaucelm Faidit, dans ses voyages de troubadour itinérant, a certainement eu besoin de ce genre de chanson.
Une certaine gaucherie d’expression, un air d’application et de soin nous ferait croire à un poème de ses débuts. D’autant que le sens d’amor au vers 25, qui veut dire et que nous traduisons par « amante » est un trait archaïque. Ce sens est courant chez les plus anciens troubadours. Nous l’avons signalé chez Arnaut de Tintinhac et ses confrères les plus anciens (1).
La forme métrique de la pièce, composée en coblas capcaudadas, est soignée et même savante.
Le thème est la joie d’amour ; la pièce est une exposition de la courtoisie classique : rien n’y manque, ni les lauzengiers, traites de falsa gen savaya, ni l’insistance sur la fidelité et la loyauté. Malgré l’application du poète, le style en est aisé et clair, comme de coutume chez Gaucelm.
1) L’amour courtois et son langage chez Arnaut de Tintinhac. Mélanges Istvàn Frank, Universität des Saarlandes, 1957. (↑)