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Salverda de Grave, Jean-Jacques. Le troubadour Bertran d'Alamanon. Toulouse: Imprimerie et librarie Édouard Privat, 1902.

189,002=076,006- Granet

COMMENTAIRE HISTORIQUE POUR LES PIÈCES XVII ET XVIII.

 

Tandis que la date de la pièce nº XVIII ne se laisse pas déterminer, la tenson nº XVII permet une datation approximative. Nous y lisons, au vers 5 & suiv. :

 

Car outra mar aug dir que Antecrist renha,
C’ap los seus ue, que totz sels ausiran
Que no·s uolran couertir prezican.....

 

M. de Lollis (1) est d’avis que ces vers contiennent une allusion à l’invasion des Mongols dans l’Europe occidentale en 1241, & il les rapproché de ce que dit un poète portugais au sujet des deux événements synchroniques : la marche de l’empereur Frédéric II & l’invasion des Mongols. Seulement, comment Granet aurait-il pu dire que le khan des Mongols « règne outre-mer » ? Il n’est pas douteux qu’il parle des Turcs à Jérusalem. D’ailleurs, le vœu de Bertran (v. 17) que el fos passatz de say Sardenha, prouve clairement qu’à l’époque de la tenson cet ennemi redoutable est encore en Palestine ou en Égypte.

Remarquons qu’on pourrait considérer l’expression « le règne de l’Antéchrist » comme une métaphore désignant la domination des Musulmans en Terre-Sainte (2). Or, ainsi que nous l’avons vu plus haut (3), de 1229 à 1244, Jérusalem a été au pouvoir des chrétiens, sauf de novembre 1239 à l’automne 1240. Dans ce cas, le « règne de l’Antéchrist » aurait donc commencé pour de bon en l’an 1244, & la tenson aurait dû être écrite après cette date, à moins qu’elle n’ait été composée pendant les quelques mois où les Turcs ont occupé Jérusalem.

Mais il n’est pas impossible que Granet ait eu en vue un personnage bien déterminé, qu’il considère comme l’ennemi du genre humain. Ce serait le sultan d’Égypte, qui avait appelé au secours les Kharismiens fuyant devant les Mongols victorieux & qui les avait envoyés en Syrie, on sait avec quel résultat. Les Kharismiens s’emparèrent de Jérusalem, pillèrent & bouleversèrent les lieux saints. Le patriarche & la majeure partie des habitants abandonnèrent la ville, le sultan marcha sur Acre & détruisit l’armée chrétienne ; la plus grande partie des chevaliers de Syrie furent tués ou faits prisonniers. Enfin, après s’être débarrassé des Kharismiens, il prit Ascalon en 1247. Dès lors, la chute de Saint-Jean-d’Acre parut imminente, & c’est à ce moment que se place la première croisade de saint Louis (4).

C’est bien cet état de choses que reflète la tenson de Granet & de Bertran, qui a donc dû être écrite après 1244. Comme, terminus ad quem nous avons l’année 1248, où saint Louis se croisa. En effet, si le roi de France avait déjà entrepris sa croisade à l’époque de la tenson, il serait étrange que ni Granet ni Bertran n’en fissent mention (5).

Voyons maintenant si cette date est corroborée par ce que nous savons de la vie de Granet (6).

Nous ne savons de lui que ce que nous en apprennent ses poésies. Bartsch en cite six, nous verrons tout à l’heure, à propos de la pièce nº XVIII, qu’on doit ramener ce chiffre à cinq. Sur ces cinq deux sont des tensons avec Bertran (Bartsch, nos 2 [6], 5) ; les autres sont : un sirventés adressé à Charles d’Anjou (Bartsch, nº 1), un sirventés adressé à Sordel (Bartsch, nº 4), & une chanson amoureuse (Bartsch, nº 3) (7).

De ces poésies, les numéros 2 [6] & 4 ne nous fournissent aucune date. Quant au sirventés adressé à Charles d’Anjou, nous l’avons déjà cité en passant (8), & nous avons alors constaté qu’il est antérieur à 1257. Or, comme Charles est arrivé en Provence en 1246, ce sont là les deux dates extrêmes entre lesquelles il se place.

Reste le sirventés 4, dont voici le résumé (9) : « Vous avez, seigneurs Sordel & Bertran, dans votre partimen fait tous deux un choix bizarre. Car vous, Sordel, qui avez choisi l’amour, vous ne savez pas aimer, & vous, Bertran, qui avez choisi la gloire des armes, vous avez le corps trop gros & trop lourd pour pouvoir jamais en acquérir. » Dans les tornadas Granet nomme d’abord Jean de Valeri, puis la comtesse de Rodez, probablement Guida (10).

La tenson à laquelle Granet fait allusion est celle publiée ci-dessus, sous le nº XIV. M. de Lollis (11) a tâché de tirer de la date de cette tenson une conclusion pour le sirventés de Granet. Mais M. Schultz (12) & M. Torraca (13) ont déjà fait justice du rapprochement que l’éditeur de Sordel propose. Voici son raisonnement : dans le sirventés en question, Granet, ayant eu connaissance de la tenson de Bertran & de Sordel, provoque aussi bien Sordel que Bertran à tensonner avec lui. Or, tandis que Sordel ne paraît pas lui avoir répondu, nous posséderions la tenson de Granet & de Bertran, & ce serait celle dont il s’agit dans ce commentaire & que nous venons de publier (14). J’avoue que le raisonnement de M. de Lollis ne me paraît rien moins que convaincant, car : 1º dans le sirventés 4, Granet ne provoque aucunement ni Sordel, ni Bertran à une tenson, il ne fait que leur reprocher le choix qu’ils ont fait dans leur jeu-parti ; 2º quand même le sirventés en question contiendrait un défi, ce ne serait jamais la tenson que nous venons de publier qui pourrait être considérée comme la réponse : on n’a qu’à la lire pour se rendre compte qu’il s’y agit de tout autre chose que d’une invitation à ne pas se battre avec des paroles, mais les armes à la main, contre l’Antéchrist (15).

La vérité est qu’il est impossible de dater avec certitude le sirventés de Granet. Nous constatons seulement, comme pour la pièce nº XIV, que, à cause du nom de Jean de Valeri, il doit être antérieur à 1250 ; & que, si la comtessa de Rodez est Guida, on doit reculer la date jusqu’en 1235. D’ailleurs, a priori, on pouvait dire que le sirventés ne peut pas être de beaucoup postérieur à la tenson qui l’a suggéré.

On voit que les poésies de Granet fournissent peu de données pour les dates, & pourtant ce sont nos sources uniques. Voici ce qu’elles nous apprennent sur sa personne. Il a commencé, de même que Guigue de Cabanas (16), par être « trotier (17) » ; puis Bertran a fait de lui un « jongleur (18) ». Aussi reste-t-il une certaine distance entre eux deux : Bertran parle de « ami Granet », mais celui-ci appelle Bertran « son seigneur ». Que Granet ne fût qu’un jongleur, c’est ce que prouvent aussi les vers suivants du sirventés qu’il adresse à Charles :

 

Mos mestiers es qu’ ieu dey lauzar los pros,
E del blasmar los croys adreitamen (19)

 

& le vers 3 de notre pièce, nº XVIII :

 

Qe’ us ai semis ses cor uaire.

 

NOTES.

 
4. En se rapporte naturellement à vous.
 
11. Ponhar est suivi de en dans notre pièce XIII, vers 16.
Quel est le sens de desfaire ? Raynouard donne : « défaire, détruire ; empêcher; perdre, désorganiser ». Levy ajoute : « remplacer ». Il me semble que, dans ce vers, c’est bien « détruire » que signifie ce verbe ; j’ai tâché, dans ma traduction, de traduire ces vers ; mais ils sont bien obscurs, d’autant plus que le vers 12 n’est pas complet. Sans doute, les vers 11 & 12 renvoient ironiquement au vers 8.
 
35. Flancha peut-il être une forme de flaca (cf. Meyer-Lübke I, § 587) ? Ou bien doit-on changer le mot en flaca ? Si l’on compare le nº XI, vers 8, & le nº XII, vers 36, on ne saurait douter que ce soit bien ce mot qui a dû être employé ici.
Il est vrai qu’on pourrait aussi lire slancha (= germ. slank, « maigre, alangui, svelte » ; anc. fr., eslanché, « alangui, lâche »).
 
36. Sur enquers, voyez Levy, o. l., s. v.
 
39. Faute de déclinaison. Cf. IV, vers 19, & la note.
 
43. Faut-il lire dispona ? Mais quel est le sens ?

 

Notes :

1. Sordello, p. 33, note. ()

2. Gaucelm Faidit (dans Raynouard, Choix, IV, p. 98) emploie cette expression, pour marquer le manque de ferveur des chevaliers avant la croisade de 1204. ()

3. Voyez le Commentaire du nº XV. ()

4. Voyez sur ces événements Martin, Histoire de France, IV, p. 199 ; Sternfeld, Karl von Anjou, p. 44. ()

5. M. Torraca, Sul « Pro Sordello », etc., p. 84, assigne à notre tenson la date de 1238, parce que c’est alors que les envoyés des Sarrasins sont venus implorer le secours des rois chrétiens contre les Tartares. Mais alors l’expression outra mar reste inexpliquée. M. Torraca ne veut pourtant pas la considérer comme une allusion à la visite que ces envoyés ont faite à la cour d’Angleterre ? (Martin, Histoire de France, IV, pp. 179-180.) Ils avaient d’abord visité la cour de France. Et puis, outra mar appartient manifestement à renha. ()

6. Cf. Histoire littéraire, XIX, p. 517. ()

7. Imprimée dans Appel, Provenz. inedita, p. 112. ()

8. Voyez le Commentaire de nº VI. ()

9. Cf. Zenker, Die provenz. Tenzone, p. 51. ()

10. Cf. le Commentaire des nos XIII et XIV, et celui du nº XV. ()

11. Sordello, p. 32. ()

12. Zeitschrift, XXII, p. 304. ()

13. Sul « Pro Sordello », etc., p. 85. ()

14. Je ne sais pas sûr de rendre tout à fait exactement la pensée de M de Lollis. Voici ses propres termes: « Mentre al primo (che peró non gli ripose) ricorda, etc..., invita il secondo a recarsi a combattere contro l’Anticristo che s’avanza coi suoi. » ()

15. Un autre rapprochement s’imposait. Cf. les vers 10-12 du sirventés :

Qe ben ama ses iausimen s’amia,
E ion vol pas que·l venha d’agradage,
Qe·l colc ab si, qe vergoinha i penria.

avec les vers 16-18 de la tenson de Sordel avec P. Guilhem (de Lollis, Sordello, p. 173) :

..... qe·lh nutr’ amador
Volon lo baizar e·l iaçer
E vos metes a no caler
So q’autre drut volon aver. ()

16. Voyez XII, v. 3. ()

17. XVIII, v. 30. ()

18. XVIII, v. 29. ()

19. Raynouard, Choix, IV, p. 237. ()

20. Mahn, Gedichte, nº 355. ()

21. Commentaire du nº IV. ()

 

 

 

 

 

 

 

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