I. — INTERPRÉTATION DU TEXTE.
12-15 : J'interprète per (v. 15) comme la 3º p. s. ind. prés. de perdre. Je ne vois guère la possibilité de le considérer comme une préposition, sous peine de rendre la phrase soutenue par ces trois vers, non seulement incompréhensible, mais encore absolument déséquilibrée du point de vue syntactique. J'interprète donc :
Ainsi harcelé par votre amour
que si ne l'aide et ne le secourt
l'humilité, (il) perd (votre) indulgence.
Autrement dit : si notre poète dépassait les sacro-saintes limites de l'humilité dans l'expression de son amour, il perdrait l'indulgence de sa dame. Tout cela entre parfaitement dans le cadre des habitudes courtoises et, en particulier, des introductions de saluts (cf. Introd.). Je mets un point-virgule après chausimen au lieu d'une virgule (Chab.).
29-31 : La voluntat del dezir. Je prends voluntat au sens de simple souhait, de désir, et dezir au sens plus fort d'aspiration, d'ardeur intense, de ferveur (all. Sehnen, Verlangen).
35 : Il doit manquer ici, d'après Chabaneau, deux vers, plus probablement quatre, qui devaient être le complément de diatz : « pourvu que vous ne me disiez pas (de cesser de vous aimer ?) ».
43 : aitz (/ ais, aize, aizer) : occasion (cf. LEVY, Petit dict.). Cant n'avetz aitz : quand vous en avez l'occasion (?).
46 : laissar : permettre (?). J'interprète : « ou vous craignez de permettre (que je vous aime) ».
53 : per qe reman (cf. v. 43) : sens obscur : « il se fait, il se trouve que » ; cf. LEVY, VII, p. 209 qui cite les vers 41-44 de notre troubadour.
68 : sens obscur. Je corrige le ni du ms. (et non ne : Chab.) en n'en et interprète : « Et dans mon cœur, je ne trouve pas cela (l') que je puisse aimer... », c'est-à-dire : « je ne crois pas que... ».
76-78 : J'interprète : Q'ieu no vuelh comme une incise et comprends : Que Dieu sans vous ne me donne — je ne le veux point — ni joie ni bien, si ce n'est selon votre merci.
II. — COMMENTAIRE LITTÉRAIRE.
Plan du salut.
1º Salutation à la dame : salutation impersonnelle — allusion à l'humilité du troubadour — la prière courtoise commence dès l'introduction (sincérité du poète, louange de la dame qui est unique) (v. 1-34).
2º Epître proprement dite : thèmes mélangés : prière courtoise — soumission totale à la dame — joie amoureuse — appel à la merci — le cœur pris comme gage d'amour — thème de l'éloignement : les corps sont loin, mais les cœurs sont proches, v. 35-106.
3º Conclusion : commence par le mot Dona. — Prétexte : le feu d'amour est tel, chez l'amant, qu'il ne peut continuer : le souffle lui manque — Salutation finale (au nom de Dieu), v. 107-114.
* * *
15 : Umilitatz, chauzimenz et merces (ou pietatz) sont presque toujours en étroite corrélation. C'est grâce à son humilité que le poète mérite la merci de sa dame, dont la première manifestation est l'indulgence, la compréhension ( chauzimenz) à son égard. Cf. II, 113 ; III, 110-111 ; IV, 85-88 ; R. d’Or., 171 : Merces n'ajaz e chausimen.
19 : Combien de fois le troub. a-t-il déclaré que la vie qu'il mène est pire que la mort ! Cf. IV, 117 ; R. d'Or., 44 et 48 : Q'eu cuith aver trop peich de mort. — Car qi tot tems vio a dolor Peiz a de mort qi no·l secor ; F. de R., 225 : Mos maltraichz q'es pejers qe morz. Cf. PARDUCCI, p. 103.
89-93 : A propos du clerc incapable d'écrire sur l'amour et les souffrances du troub., v. aussi III, 100-103.
100-102 : Il est rare que l'auteur de saluts déclare ne pas se soucier de voir sa dame. Le désir ardent de la voir est au contraire très souvent exprimé. Cf. I, 127-135 et 143-144 ; III, 130-133 ; F. de R., 223-231 ; Uc de St-C., 31-36 et A. des Escas, 24-29. Pour les citations, cf. I, notes II, 127-135.
III. — VERSIFICATION.
Vers octosyllabiques à rimes plates (salut classique) — Noter, aux v. 71-72, les rimes : jor(n)/melhor, et aux vers 107-108 : amor/jor. Ces rimes semblent indiquer que le n de jorn devait être déjà purement graphique.
HIATUS : v. 9 : qe|anc ; v. 19 : vieure|es ; v. 89 : auria|us escrivas.
ELISIONS : v. 13 : vostr’ amor ; v. 16 : tant' es la dolor ; v. 43 : cortez’e pros ; v. 82 : doss' e valens ; v. 92 : fin' amistat.
SYNALEPHES : v. 16 qe el sen ; v. 32 : Qe no m'aondaria us ans. |