I. — COMMENTAIRE LITTÉRAIRE.
Ce fragment de salut succède, dans le manuscrit, au salut I d'Arnaud de Mareuil, sans indication d'auteur, comme cela est fréquent dans ce chansonnier. Il est immédiatement suivi, sans intervalle et sans lettrine, d'une pièce, également anonyme, de 72 vers en décasyllabes à rimes plates (rimes unissionans en -at) :
Qe cil c'a tan ric prez comensat (cf. commentaire du salut VII). Cette pièce est suivie à son tour d'un autre salut anonyme : Bona Dompna pros ez onrada (notre salut VII).
L'attribution de ce fragment à Arnaud de Mareuil paraît assez vraisemblable et les arguments de Constans dans ce sens nous paraissent probants : « Les mots que tant m'es pres Del cor (v. 10-11) autoriseraient peut-être à la (la pièce) lui attribuer. C'était là une expression familière à Arnaud de Mareuil. Cf. ce début d'un de ses saluts : Cel cui vos etz al cor plus pres (notre salut IV), ce vers d'un autre salut : Mas vos que m'etz al cor plus pres (notre salut V, v. 14), la fin de Razos es e mezura : Car m’etz al cor plus pres, et encore, dans la chanson : Us gais amoros orgoils Bela Dona... m'etz ades del cor plus pres. Il convient pourtant d'ajouter que l'un des manuscrits dont G. M. Barbieri s'est servi, celui qu'il appelle libro in assicelle, attribuait, paraît-il cette pièce à Alegret. Suchier en a fait déjà l'observation. V. MUSSAFIA, Uber die prov. Liederhandsch. des G. M. Barbieri, pp. 25 et 37, et Barbieri lui-même, Origine della poesia rimata, Modena, 1790, p. 130 ». Mais Constans n'accorde guère de confiance au libro in assicelle. A propos de Barbieri, cf. V. DE BARTHOLOMAEIS, Le carte di G. M. Barbieri nell’ Archiginnasio di Bologna, Bologna, 1927, p. 115 et BERTONI, G. M. B. e gli studi romanzi nel sec. XVI, Modena, 1905.
Notre fragment est également attribué à Alegret dans Brunel et Pill.-Carstens, mais Jeanroy, qui situe la vie littéraire d'Alegret entre 1130 et 1148 (cf. Jongl. et troub. gascons, Paris, 1923, p. IV) pense que ledit fragment a été écrit à une date postérieure (cf. La poésie lyrique, I, p. 335). Parducci (p. 93) refuse lui aussi l'attribution à Alegret au profit d'Arnaud de Mareuil. Il rappelle que le fragment figure uniquement dans N (fº 25d) et que Barbieri n'en connaissait que les deux premiers vers. En outre, « il cominciamento, in cui ha gran parte il ricordo dei pregi della donna... è interamente modellato sul tipo tradizionale della lettera d'amore, quale la fissò, per primo a nostro parere, Arnaut de Maroill. Con esso concordan pure il tema trattato e la forma metrica ».
De toute façon, l'intérêt de ce salut, réduit à son seul début, réside dans le fait que son introduction (v. 1-18) entre parfaitement dans le cadre des introductions des saluts, telles que nous les avons définies : brève louange de la dame, dès le départ pour attirer son attention (cf. salut VII) avec, à la fin de l'introduction, la phase rituelle :
Vos prec qe zo q'eu vos vueil dir
Deignes escoutar e auzir.
Le troubadour parle toutefois, exceptionnellement, à la première personne. Venait ensuite, très probablement, la louange courtoise, dont nous n'avons conservé que quatre vers (19-22).
20 : cf. Guilhem de Cabestanh : Domn'en cui beutatz gensa (Li dous consire, BARTSCH, p. 74).
II. — VERSIFICATION.
Vers de huit syllabes à rimes plates (salut classique).
ELISIONS : 9 : per cortesi' apres.
SYNALÈPHES : 12 : domna eissamen ; 21 qe sia homs viventz. |