XII
PIÈCES D’ATTRIBUTION INCERTAINE
Dans les dix pièces réunies ici, et que nous publions de la même façon que les précédentes, il faut distinguer trois sortes :
Tout d’abord, deux partimens ou tensons, ainsi qu’une aube, nous ont paru présenter quelques indices, plus ou moins marqués, d’une possibilité d’appartenance à l’œuvre de Gaucelm Faidit.
Par contre, trois autres, qui sont attribuées à Gaucelm Faidit et cataloguées sous son nom par Bartsch et par Pillet, nous ont semblé ne pouvoir être de Gaucelm par leur style, leur vocabulaire ainsi que par les sentiments ou les idées qui y sont exprimés. Ce sont Ab nou cor et ab novel so et Quan la fueilla sobre l’albre s’espan, ainsi que N’Albert eu sui en error, qui avait déjà été reconnu comme n’étant pas de Gaucelm.
Enfin, quatre autres poèmes nous paraissent devoir être rejetés, bien que certains manuscrits indiquent Gaucelm comme auteur, ou que des érudits aient pensé qu’il ait pu les composer.
I — Poèmes d’attribution incertaine peut-être acceptables parmi les œuvres de Gaucelm Faidit.
GAUCELM, QUE-US PAR D’UN CAVALIER
GAUCELM, NO-M PUESC ESTENER
US CAVALIERS SI JAZIA
II. Poèmes attribués à Gaucelm Faidit par Bartsch et par Pillet, rejetés comme n’étant probablement pas de lui.
N’ALBERT, EU SUI EN ERROR
AB NOU COR ET AB NOVEL SO(N)
QUAN LA FUEILLA SOBRE L’ALBRE S’ESPAN
III. Poèmes d’attribution incertaine, rejetés comme n’étant probablement pas de Gaucelm Faidit.
GES PER LO FREG TEMS NO M’IRAIS
AB LEYAL COR ET AB HUMIL TALAN
LONGA SAZON AI ESTAT VAS AMOR
POS COMJAT AI DE FAR CHANSO
Nous nous bornons à signaler ici les incipit et les références de quelques pièces attribuées à tort à Gaucelm Faidit par certains Mss., alors qu’il est évident et assuré que ces poèmes ont été composés par divers autres troubadours. Il n’a pas semblé ni nécessaire ni utile de les publier dans cet ouvrage, pas plus que de discuter leur attribution. Il s’agit surtout de cinq partimens qui font suite à N’Albert eu sui en error (notre N. 69) dans les folios 150 et 151 du Ms. D ; bien que les noms des partenaires de ces partimens soient bien nets dans les textes, ceux-ci portent inexplicablement le nom de Gaucelm Faidit. A signaler également que le Ms. A donne aux folios 82 et 83, à la fin des chansons de Gaucelm, une pièce de Guiraut de Calanson et une d’Arnaut de Maruelh. Voici la liste de ces attributions erronées :
1) 45,1 = 119,1 DALFIN RESPONDETZ ME SI-US PLATZ, BAUZAN CAR M’AVETZ ENSEINGNAT (Dalfin et Baussan) D 150–1 .
2) 10,19 = 210,10 DE BERGUEDAN D’ESTAS DOAS RAZOS (Guillem de Berguedan et Aim. d. Pegulhan) D 150–1.
3) 449,4 = 75,7 = 91,2 SEIGNER BERTRANS US CAVALIERS PREZATZ (Uc de la Bachalaria et B. de St Felix) D 150–1.
4) 238,2 = 388,2 EN RAIMBAUT PRO DOMNA D’AUT PARATGE (Guionet et Raimbaut) D 150– 1.
5) 243,2 A LEIS CUI AM DE COR E DE SABER (Guir. de Calanson) A 83, a1 63.
6) 30, 21 SES JOI NON ES VALORS (Arnaut de Maruelh) A 83.
7) 262,2 LANQUAN LI JORN SON LONG EN MAI attribué à Jossiames Faidius (Jaufre Rudel) W 189.
8) 421,6 LO NOUS MES D’ABRIL COMENSA attribué à Joseaus Tardius (R. de Berbezill) Table de W.
9) 376,1 LOCS ES QU’OM SI DEU ALEGRAR (Pons Fabre d’Uzes) e 210.
10) 355,7 ENQUERA-M VAI RECALIVAN (Peire Raimon de Tolosa) Table de C.
74. LONGA SAZON AI ESTAT VAS AMOR
ATTRIBUTIONS
Seul le Ms. P attribue Longa sazon à Gauselm (Aucune mention de Faidit).
AD : Jordan de l’Isla de Veneissin = Escudier de la Ylha, R et table de C ; Cadenet CMTf ; Peire de Maensac IKd ; Rostaing DcH, de Merges Dc, de Melies H ; Pons de Capdueil a ; anonyme N.
GENRE
Chanso.
SCHÉMA MÉTRIQUE
a |
b |
b |
a |
c |
d |
c |
d |
tornada |
c |
d |
c |
d |
10 |
10 |
10 |
10 |
10' |
10 |
10' |
10 |
|
10' |
10 |
10' |
10 |
Cinq strophes, coblas unissonans de 8 vers et une tornada de 4 vers.
Rimes : a : or ; b : an ; c : atge ; d : en.
Istvàn Frank, RMPT, I., p. 134, N. 612–4. A noter que 401,2 : A Dieu done m’arma de bon’ amor, de Ramon Gaucelm de Béziers, a le même schéma et les mêmes rimes.
COMMENTAIRE
Pillet range Longa sazon dans les attributions possibles à Gaucelm Faidit. On peut discerner deux raisons pour cette hypothèse : le Ms. P attribue cette pièce à un Gauselm ; le texte du poème offre des ressemblances avec des poèmes de Gaucelm Faidit. Cependant, le Ms. P offre un texte qui, bien que complet, est corrompu et bourré d’erreurs d’interprétation. D’autre part, nulle mention de Faidit. Or Longa sazon a le même schéma métrique et les mêmes rimes que A Dieu done m’arma de bon’amor (401,2) de Raimon Gaucelm de Béziers. Une confusion a donc pu avoir lieu dans l’esprit du scribe de P en faveur de ce dernier troubadour, et non de Gaucelm FAIDIT.
Le thème du long service d’amour qui n’apporte que déboires et se termine par une séparation est bien l’un des thèmes favoris de Faidit, mais enfin il n’est pas sa propriété exclusive. Il est vrai que le texte présente des formules, finissant sur la rime atge, qui se retrouvent dans deux poèmes de Gaucelm Faidit : no-m parti mon coratge (5) fol usatge (7) tener autre viatge (15) de mal seignoratge (23) : voir Tant ai sofert longamen grand afan, v. v. 6, 7, 34 et pour me ven d’agradatge (13), voir S ; anc nul hom per aver fin coratge, v. 13 ; des expres- sions telles que : ai fach son coman, me vir aillor, percassar son dampnatge, cossir l’error, sia salvatge, ses cor truan, de bel estatge, d’ausor paratge, bien que moins caractéristiques, rappellent également la langue de Gaucelm Faidit. Cependant, on peut voir, dans ces similitudes ou ressemblances, les emprunts d’un troubadour plus récent aux pièces d’un devancier, et non les formules accoutumées d’un même troubadour.
Nous pensons que nous avons affaire, en Longa sazon, à une assez adroite imitation de Gaucelm Faidit plutôt qu’à un poème de lui : la pensée nous semble plus lâche et le style plus pédestre que les siens. Appel refusant la pièce à Cadenet malgré les quatre Mss. qui la lui attribuent nous estimons que ce poème peut sans invraisemblance être l’œuvre d’un certain Jordan de l’Isla de Venaissi, désigné aussi par le titre d’Escudier de la Ylha (pour Isla), dont ce serait la seule œuvre conservée ; cet écuyer, qui aurait vraisemblablement vécu au XIIIe siècle à l’Isle-sur-Sorgue (Vaucluse), dans une région que Gaucelm Faidit avait beaucoup fréquentée au siècle précédent en se rendant auprès d’Agout, a fort bien pu imiter les vers de son devancier sur l’un des thèmes classiques de l’amour courtois. Ce poète n’a guère pu être inventé pour les besoins de la cause.
D’autre part, le groupe de Mss. IKd attribue la pièce à Peire de Maensac, de qui nous n’avons pas non plus d’autres œuvres, mais qui a l’avantage d’une biographie (B. Sch. LXXIII, p. 228) et qui aurait été vassal de Dalfin d’Alvernhe, étant de Manzat près de Riom. Or, il est prouvé, à notre avis, que Gaucelm Faidit a fréquenté la cour de Montferrand, car plusieurs de ses pièces mentionnent Dalfin qui l’a choisi d’autre part comme arbitre d’un partimen très intéressant avec Perdigon (1). Peire de Maensacaurait donc lui aussi pu connaître et imiter les vers de Gaucelm Faidit.
Aucun indice, à notre avis, ne permet de donner la préférence à Jordan, écuyer de l’Isle ou à Peire de Maensac que fo d’Alvernhe.
Quant à Rostaing de Mergas ou Melies, nous ne croyons pas qu’il soit l’Escudier de la Ylha, titre que lui rajoute la table de C, sans doute par erreur et méprise, ce titre s’accordant bien mieux au nom de Jordan de l’Isla. Cependant, aucun indice ne permet de l’écarter à priori (2).
Cette chanso est vraiment très riche d’attributions diverses et non convaincantes, puisque le Ms. a la donne aussi à Pons de Capdueil (3) sans plus de raion.
1) Voir les poèmes mentionnant Dalfin d’Alvernhe. (↑)
2) Cf. Pillet, p. 385. (↑)
3) Voir là-dessus Max Von Napolski, Pons de Capdueil, Halle, 1879, III, Unechte Lieder. (↑)