XVI-XVII-XVIII
Cinq des sirventés échangés par Bremon et Sordel ont été conservés par AD (un des cinq aussi par IK et un autre par MR) ; un sixième par C et R.
Diez ( 1), le premier, a étudié ces sirventés ; mais le classement qu’il en a proposé présentait des points faibles et a été critiqué par M. Schultz-Gora ( 2). Ce dernier a bien su reconstituer les trois couples de sirventés, mais il a placé ces couples dans un ordre qui n’était pas le bon. M. De Lollis ( 3), puis MM. Bertoni-Jeanroy ( 4), avec plus de netteté encore, ont démontré la nécessité d’une autre disposition, « imposée par l’ordre des pièces dans AD et, plus évidemment encore, par l’examen du contenu ( 5) ». C’est cette disposition, adoptée par MM. Bertoni-Jeanroy dans leur édition, que nous avons reproduite ci-dessus ( 6).
C’est M. Schultz-Gora qui a essayé pour la première fois de fixer la date de ces pièces ( 7) ; il s’est arrêté à l’année 1240. M. De Lollis ( 8) a critiqué l’argumentation de M. Schultz, mais il est arrivé, par une voie différente, à la même date.
Enfin MM. Bertoni-Jeanroy ( 9), considérant, d’une part, le rôle indirect joué par Reforzat, « surpris par la mort vers 1250 au plus tard » ; d’autre part, l’allusion de Bremon, dans son 3 e sirventés (vv. 20-29), à un voyage en Espagne fait par Sordel aux alentours de 1230, se sont demandé, sans prendre d’ailleurs aucune décision, s’il ne fallait pas reculer la date proposée par MM. Schultz-Gora et De Lollis. Tout en reconnaissant la valeur des arguments de MM. Bertoni-Jeanroy, nous croyons que la date de 1240-1241 peut être acceptée.
Les six sirventés, pleins de cruels sarcasmes et de basses injures, sont très vraisemblablement postérieurs à l’année 1237, où parut le planh (pièce XX), parodie de ton très modéré. Une allusion de Sordel permet de vérifier celte hypothèse ; voici ces vers (19-20 du 3 e sirventés) :
Huey mais, pus ven la patz e·l gai[s] temps de Pascor,
si deuria (Bremon) mostrar ab garlanda de flor.
La paix conclue au temps de Pascor entre le comte de Toulouse el le comte de Provence ne peut être qu’une des trois suivantes : ou celle du début de 1234, ou celle de 1237, ou celle de 1241 ( 10). Plusieurs passages des sirventés prouvant qu’au moment de ce duel poétique Bremon était auprès de Barral ( 11), l’année 1284 ne saurait être retenue, puisque Barral n’entra en possession de sa part des biens paternels qu’à la fin de la dite année ( 12). Nous ne pensons pas non plus qu’il soit question de la paix de juin 1237 : les hostilités n’avaient repris qu’au printemps de cette année-là, et « Sordel fait évidemment allusion à une guerre de quelque durée et à de longs pourparlers de paix ( 13) ». Nous croyons avec M. De Lollis ( 14) que Sordel parle de la guerre de 1240-1241, à laquelle Barral prit une part active, et qui se termina en 1241, après que Raimon VII eut promis au roi de France, le 14 mars, de faire la paix avec Raimon Béranger. Les sirventés doivent donc avoir été échangés en 1240-1241.
XVI
5. De Proensa, c’est-à-dire de la cour de Provence, celle de Raimon Béranger IV. Bremon se trouve à Marseille chez Barral. Cf. III, 43 ; V, 7 ; VI, 18.
11. Ce vers, tel qu’il est donné par les mss., est trop court. Une correction s’impose : de pretz onrat ou d[e] onrat pretz.
16. « Celui qui le connaîtrait bien [verrait que] », etc. Qui a ici le sens bien connu du lat. si quis.
23-24. Far, dire desonor, expression calquée sur far, dire plazer, « faire, dire des choses agréables ». L’opposition, impossible à rendre exactement, est au reste purement formelle : on ne voit pas comment Sordel pouvait déshonorer Bremon, sinon en parlant mal de lui. Le ms. A porte lo·ill, mais D a la·ill (en effet, desonor est du féminin). Il est curieux, toutefois, que dans la pièce VIII, v. 48, on trouve mon dolor ; mais cette pièce est renfermée uniquement dans le ms. T, qui a été copié dans le nord de la Vénétie. Il s’agit donc d’un italianisme du copiste.
25. Joglars garnitz : De Lollis interprète « giullare in armi ». Schultz-Gora (Zeitschr., XXI, 242), « ausgestalter Joglar ». La première interprétation, plus précise, s’accorde mieux avec le sens général de la strophe et met mieux en relief l’allusion du v. 8 du sirventés I de Sordel : eu los tem meins pois sui e mon destrier.
29. De part Plazenssa, c’est-à-dire « Lombard ». Il n’y a donc aucune raison de chercher en France, ce nom de lieu, comme l’a fait De Lollis (p. 49, n. 1), supposant que ce nom était celui de la ville où aurait alors séjourné Sordel.
31. Argenssa : sur les mentions de ce pays dans la poésie des troubadours, voy. Schultz-Gora, Archiv., p. 130, n. 2 ; De Lollis, p. 253. Allusion ironique à la menace contenue dans le premier sirventés de Sordel, vv. 22-24.
40. Bausia : allusion probable aux exploits de Sordel à la cour du comte de San Bonifazio.
61-62. Jeu de mots bien compris par Schultz-Gora (Archiv., p. 131) : « trouveur de richesses, non d’honneur ». Bremon paraît être jaloux du bon accueil fait par le comte de Provence à Sordel.
Notes :
1. Leben und Werke, pp. 386-387. (↑)
2. Ueber den Litderstreit zwischen Sordel und Peire Bremon, dans Archiv., XCIII, pp. 124 sqq. (↑)
3. Sordello, pp. 45-47. (↑)
4. Un duel poétique au XIIIe siècle, dans Annales du Midi, t. XXVIII (1916), pp. 271 sqq. (↑)
5. Un duel poétique au XIIIe siècle, dans Annales du Midi, t. XXVIII (1916), p. 275. (↑)
7. Ueber den Litderstreit zwischen Sordel und Peire Bremon, dans Archiv., XCIII. (↑)
8. Sordello, p. 40, note 4. (↑)
9. Un duel poétique au XIIIe siècle, dans Annales du Midi, t. XXVIII (1916), pp. 276-279. (↑)
10. Sordello, pp. 42-44. (↑)
12. Voy. l’Introd. de la pièce XV. (↑)
13. Sordello, pp. 44-45. (↑)
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